Après cinq ans d’absence discographique, Keren Ann revient avec un nouvel album, You’re Gonna Get Love, le 25 mars. Avant qu’elle devienne rédactrice en chef de Cheek pendant une semaine, on s’est entretenues avec elle.
Le dernier disque de Keren Ann qu’on a posé sur nos platines/glissé dans nos iTunes s’intitulait 101. C’était en 2011, la musicienne arborait flingue et coupe au bol, et envoyait valser discrétion et politesse au son du tube discoïde My Name Is Trouble. Cinq ans plus tard, le personnage de bad girl a disparu, et l’on retrouve une Keren Ann à nu. Avec You’re Gonna Get Love, en partie financé par le crowdfunding et qui sortira le 25 mars, la songwriteuse cosmopolite, basée ces dernières années à Brooklyn, se raconte dans l’intimité de chansons émotives, troussées avec l’élégance et le savoir-faire qui ont bâti sa réputation et permis sa longévité.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Keren Ann Zeidel prend l’air du temps à contre-courant, et a fait du songwriting sa profession de foi.
En quinze ans de carrière, celle qui a fait ses débuts en français aux côtés de Benjamin Biolay, écrit pour Henri Salvador, Sylvie Vartan ou Iggy Pop et Emmanuelle Seigner, ne cesse de réinventer sa recette. En affichant un classicisme revendiqué, Keren Ann Zeidel prend l’air du temps à contre-courant, et a fait du songwriting sa profession de foi. Une sincérité qui traverse les années sans s’émousser, et qu’on retrouve dans des textes hautement personnels, où il est cette fois-ci question d’amour, de naissance et de mort. L’occasion de parler, avec leur auteure, de transmission et d’hérédité.
Le premier extrait de ton nouvel album s’intitule Where Did You Go? Après 5 ans d’absence discographique, on a un peu envie de te retourner la question…
Après la sortie mon album en 2011, j’ai tourné pendant un an et demi. Et j’ai bossé sur plusieurs projets différents: j’ai fait une musique de théâtre, j’ai travaillé sur un film d’Eytan Fox… Et puis, en 2012, je suis devenue maman, et il a fallu que je réaménage mon temps. La composition est restée très instinctive, mais pour l’écriture des mots, ça n’a pas été si facile de trouver la bonne méthode. Avant, je pouvais travailler pendant deux ou douze heures, je faisais comme je voulais. Plein d’artistes, comme Rickie Lee Jones ou Kate Bush, ont fait une très longue pause dans l’écriture après être devenues mamans, et ça m’a beaucoup inquiétée.
“Beaucoup de gens, comme moi, n’ont pas la chance qu’un de leurs parents rencontrent leurs enfants.”
You’re Gonna Get Love, le titre de ce septième album, est-il adressé à ta fille?
Pas du tout! (Rires.) C’est plutôt un titre destiné à mon amoureux. Ce qui m’intéresse, ce sont les relations. Il n’y a pas vraiment de titre pour ma fille sur ce disque, ça viendra plus tard, avec plus de recul.
Dans le morceau Where Did You Go?, tu t’adresses à ton père, décédé avant la naissance de ton enfant…
Il y a beaucoup de gens qui, comme moi, n’ont pas la chance qu’un de leurs parents rencontrent leurs enfants. Cela donne quelque chose de très dessoudé dans la chaîne familiale. Cette chanson parle de ce moment où je suis devenue maman et où mon père n’était pas là pour rencontrer ma fille. Il y a beaucoup d’émotion dans ce titre, mais sans tomber dans le côté pathos ou gnangnan: ce qui m’intéresse, c’est la beauté qui réside dans ces moments de mélancolie ou de nostalgie.
Qu’est-ce que ton père t’a transmis?
Tout. Comme ma mère, d’ailleurs. Mais, c’est comme dans la chanson Big Yellow Taxi de Joni Mitchell: “You don’t know what you’ve got until it’s gone.”. C’est maintenant qu’il n’est plus là que je me rends compte à quel point il me manque. On m’a enlevé un bras avec son départ. Quelqu’un a dit: “Mon père m’a appris à tout faire sauf à vivre sans lui”, et c’est un peu ça.
Toi, qu’aimerais-tu transmettre avec ta musique?
Rien de spécial. Je fais ce qu’il me plaît à moi et, comme Hemingway, je pars de l’idée qu’on n’est pas tous très différents et que ce qui me touche va toucher les autres. Quand je suis en studio, je ne pense à personne. Juste à ce que je suis en train de faire et à une destination esthétique et artistique. Bien sûr, quand quelqu’un vient me dire qu’il se reconnaît dans ma musique, ça me fait plaisir, mais ce n’est jamais l’ambition de départ.
“Les auteurs des années 60 et 70 arrivaient à faire la part entre le bien et le mal, sans que la religion entre en compte.”
En musique, qui sont tes “parents”, ceux qui t’ont montré la voie?
Comme dans la vie, c’est Bob Dylan, Leonard Cohen, Bruce Springsteen, Joni Mitchell ou Carole King. Ces gens m’ont appris à vivre autant qu’il m’ont appris l’amour pour le songwriting. Je pense qu’il ont dans leur manière d’écrire quelque chose de très patriote, non pas envers une nation, mais envers des valeurs. C’est une écriture très empathique et sans jugement, où toute émotion et expérience peut être transformée et revécue dans une chanson. Tous ces auteurs des années 60 et 70 arrivaient à faire la part entre le bien et le mal, sans que la religion entre en compte. C’est quelque chose qui m’intéresse.
Et toi, as-tu le sentiment d’avoir déjà des héritiers ou héritières?
J’ai beaucoup de mal à les identifier car, s’ils sont mes héritiers, ils sont forcément les héritiers des gens précités. En tout cas, je serais ravie de léguer un certain amour pour le songwriting, l’envie de choisir cette forme d’écriture. Pour moi, c’est le plus beau format. À mon sens, il n’y a pas de différence entre Sylvia Plath et Joni Mitchell. Elles ont toutes les deux apporté quelque chose d’aussi fort.
Tu as écrit pour beaucoup d’artistes. As-tu encore des envies d’écriture pour autrui?
Oui, je travaille d’ailleurs sur plusieurs projets et c’est très important pour moi. J’aime bien avoir d’autres destinations que ma propre biographie; celle des autres m’intéresse aussi. Après, je n’ai pas l’ambition de travailler avec quelqu’un en particulier. Toutes mes collaborations se sont faites au gré des rencontres. Par contre, je suis très touchée quand quelqu’un que j’admire reprend l’une de mes chansons, comme David Byrne et Anna Calvi.
Lors de notre dernière entrevue, tu disais te sentir comme une débutante à la sortie de chaque nouvel album. Est-ce toujours le cas?
Ce n’est pas vraiment au moment de la sortie, mais plutôt au début du projet, au moment où j’entre dans la pièce pour démarrer quelque chose de nouveau. J’ai besoin d’aborder chaque album comme une nouvelle expérience. C’est très important pour moi d’avoir un rapport presque naïf, instinctif en tout cas, à mes projets, pour ne pas me reposer sur mes lauriers. Retrouver de l’excitation quand on fait quelque chose permet de le faire avec plus de fraîcheur.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
{"type":"Banniere-Basse"}