L’autrice de 37 ans Louise Mey sort le 15 janvier aux Éditions du Masque La Deuxième femme, un thriller glaçant qui déconstruit méticuleusement les mécanismes de domination patriarcale. Rencontre.
Les écrivain·e·s ne ressemblent pas toujours à ce qu’iels écrivent. Voilà ce que l’on pense en rigolant avec Louise Mey après avoir refermé son thriller glaçant, La Deuxième femme, les larmes aux yeux et la rage au ventre. Elle nous parle avec une intelligence affûtée des mécanismes de violence et des rouages infernaux du patriarcat avant d’éclater de rire cinq minutes plus tard en disant qu’elle n’en peut plus des récits où les femmes ne sont que des victimes qui servent à ce que le héros soit “très énervé et parte en débardeur tataner des culs”. On comprend dès lors parfaitement l’étendue créative de son imaginaire qui lui a permis d’écrire des polars sur une brigade spécialisée dans les crimes et délits sexuels tout en imaginant l’hilarant Chattologie, un spectacle sur les règles interprété par Klaire fait grr (qui reprend à partir du 7 février à La Comédie des 3 Bornes).
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Polar nouveau genre
Il faut dire que lorsqu’elle était enfant, Louise Mey a beaucoup lu, dans tous les genres. Elle cite parmi ses premières passions aussi bien Agatha Christie que Louisa May Alcott et la Comtesse de Ségur. Encouragée par ses parents, une carte de bibliothèque en main, elle commence très jeune à lire et à raconter des histoires. “J’ai toujours été encouragée à écrire dans ma famille, se souvient-elle. Je m’y suis mise enfant et je n’ai jamais arrêté.” Pendant longtemps, ses écrits restent circonscrits à la sphère privée, puis aux blogs qui commencent à émerger et qui sont investis par les écrivain·e·s en herbe. Louise Mey a l’intuition que ses histoires pourraient donner naissance à des livres, mais elle hésite. “À la fin de ma vingtaine je suivais ce cliché de me dire que j’étais trop jeune, que ce que j’écrivais n’était pas encore valable.”
“J’ai voulu écrire un roman policier différent en termes d’approche. Où les victimes sont de vraies victimes, avec une histoire, un nom, une existence.”
Pendant quelques années, elle travaille sur son premier roman Les Ravagé(e)s, qui paraît en 2016 aux éditions Fleuve noir. Le livre naît d’un bouillonnement intérieur que l’on nomme communément le féminisme. “Je voyais souvent des films avec ce tropisme de la femme prétexte, se souvient Louise Mey. Ça a été mis en lumière notamment par Gail Simone, une scénariste américaine qui a commencé à réunir une liste sur un site qui s’appelait Women in Refrigerators. Elle y notait tous les personnages féminins qui se retrouvaient privées de leurs pouvoirs, blessées ou dépouillées juste pour faire avancer le personnage masculin. C’était bien avant #MeToo, mais j’ai commencé à lire l’actualité autrement, à suivre des initiatives comme Les mots tuent (Ndlr: qui recense la manière dont les journaux traitent les violences faites aux femmes). J’ai vu à quel point le sexisme était partout, intégré au cœur de la société.”
Les Ravagé(e)s et sa suite, Les Hordes invisibles, suivent les histoires de deux flics d’une brigade des crimes et délits sexuels, Alex et Marco. “Une brigade qui n’existe pas dans le système français et c’est bien dommage!”, souligne l’autrice. Armée de recherches poussées sur les statistiques et les chiffres des violences sexuelles, elle investit un genre encore largement dominé par des histoires masculines, où les personnages féminins sont souvent mortes dès la page 5. “J’ai voulu écrire un roman policier différent en termes d’approche, analyse-t-elle. Où les victimes sont de vraies victimes, avec une histoire, un nom, une existence. Tous les cas dans ces deux livres évoquent les violences systémiques faites aux femmes.”
La voix des victimes
Lorsque le troisième tome des enquêtes d’Alex et Marco est mis en stand-by, Louise décide de se lancer dans un nouveau projet. La Deuxième femme raconte l’histoire de Sandrine, une jeune femme qui vient de s’installer avec son compagnon et le fils de ce dernier. Quand la première femme de l’homme qu’elle aime réapparaît, après avoir disparu des mois, le monde de Sandrine s’écroule. Avec ce roman, l’autrice s’intéresse à la culture du viol et plus généralement à décortiquer un système qui rend possibles et si fréquentes les violences faites aux femmes.
La Deuxième femme prend totalement à rebours l’idée d’un personnage féminin “prétexte”. Sandrine est une voix extrêmement forte qui évolue au fil des pages, dont l’intériorité participe à la richesse du récit. Elle met un visage et une voix sur des récits habituellement déshumanisés par les titres des journaux. “À travers le personnage de Sandrine, j’essaie aussi de montrer le poids du regard que l’on porte sur les femmes depuis l’enfance, explique l’autrice. La société dit aux femmes que leur valeur est définie par le désir qu’elles inspirent aux hommes, et ce désir est lié à tellement de contraintes et d’injonctions qu’on ne peut jamais gagner. Je voulais montrer que les violences systémiques sont aussi le fait de ce regard ininterrompu que le monde pose sur nous. Mon héroïne l’a complètement intégré. Elle se regarde comme elle pense qu’on la regarde, presque comme un monstre. Elle n’a pas un instant de paix.”
“J’aimerais participer, à ma petite échelle, à la prise de conscience autour de la difficulté que peuvent avoir les femmes à se défaire d’une emprise.”
Le ou les bourreaux, loin de nous l’idée de vous spoiler la lecture du roman, n’ont pas voix au chapitre. Louise Mey pense qu’on leur trouve déjà des excuses partout et elle aimerait vraiment que les mots changent de camp. C’est d’ailleurs ce qu’elle souhaite au plus profond d’elle-même. Réparer un peu de ce qui a été mal raconté et de ce qui a été passé sous silence. “Il y a tellement d’associations, de soignantes, de collectifs féministes qui font un travail formidable de sensibilisation, résume-t-elle. J’aimerais participer, à ma petite échelle, à la prise de conscience autour de la difficulté que peuvent avoir les femmes à se défaire d’une emprise, d’autant que tout le reste de la société soit les ignore, soit les encourage à rester. Si après avoir lu mon livre on peut voir un fait divers de violences conjugales et se demander pourquoi il est classé dans cette rubrique et pourquoi il est traité avec ce ton presque humoristique, alors je serais vraiment fière du travail accompli.” Les mots tuent, certes, mais ils ont aussi d’autres vertus: ils alertent, ils permettent de comprendre. Et bien utilisés, ils peuvent aussi faire évoluer les consciences.
Pauline Le Gall
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