Pour Dona Sarkar, 39 ans, la technologie est avant tout un outil d’émancipation. Chez Microsoft, où elle anime depuis peu une plateforme de digitalisation des entreprises, elle se bat pour démocratiser son accès à tou·te·s. De passage à Paris, cette développeuse de formation nous a parlé de son expérience dans la tech et de la place que les femmes y occupent aujourd’hui.
Lorsque la jeune Dona Sarkar décide d’apprendre à coder, au tournant des années 2000, elle n’a encore jamais touché à un ordinateur mais a en tête les success stories de Google puis de Facebook, lancés par des jeunes tout juste sortis des bancs de la fac. Vingt ans plus tard, sa carrière a tout du rêve américain version Silicon Valley: entrée chez Microsoft en 2005, elle a dirigé pendant trois ans le programme Windows Insiders, une communauté de 17 millions de personnes qui testent les nouvelles fonctionnalités du système d’exploitation, et qu’elle a contribué à étendre dans le monde entier.
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Depuis octobre dernier, elle anime la Microsoft Power Platform, une suite d’outils permettant aux entreprises de créer des applis, des sites Web ou encore des chatbots, avec peu ou pas de connaissance du code. En parallèle, elle a aussi coaché des entrepreneurs dans des pays émergents, publié plusieurs livres dont Hello World à destination de ceux et celles qui souhaitent se lancer, multiplié les conférences à travers le monde, et même créé sa ligne de vêtements éthiques, Prima Dona.
“Je me suis rendu compte du pouvoir énorme que donnait le code.”
Suivie par 72 000 abonné·e·s sur Twitter, elle est aujourd’hui reconnue comme un role model dans la tech. Nous l’avons rencontrée à la conférence Microsoft Ignite à Paris en novembre, qui rassemble chaque année des leaders du secteur et des développeur·se·s à l’affût des dernières nouveautés. Interview.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire carrière dans la tech?
J’ai grandi à Detroit, dans un milieu défavorisé. Comme beaucoup de gens là-bas, ma famille travaillait dans l’industrie automobile. Mon père voulait que je vise plus haut. Dès la fin des années 90, les jeunes étaient nombreux à lancer leur boîte et à se lancer dans le milieu de la tech, et progressaient rapidement dans leur carrière. Alors je me suis dit: pourquoi pas moi aussi?
Quels obstacles se sont dressés sur ta route, en tant que femme?
Quand je suis arrivée en cours d’informatique à l’Université du Michigan, je n’avais encore jamais eu d’ordinateur. Sur les 500 étudiant·e·s de mon cours, j’étais l’une des seul·e·s à ne rien y connaître, et nous n’étions que quatre femmes. Je me suis demandé si j’avais vraiment ma place là-bas, même s’il n’y avait aucune raison pour que l’apprentissage du code soit un truc de mec. J’ai complètement échoué à ce cours, mais je me suis accrochée et la deuxième fois, j’ai réussi. Je me suis rendu compte du pouvoir énorme que donnait le code: à la fin de ce cours, qui durait six mois, j’étais déjà capable de créer mes propres jeux vidéo. Bientôt, je pourrais construire des applis, des sites Web… Je suis donc restée dans ce cursus, fascinée par l’idée qu’on peut créer des choses à partir de rien. Je suis plutôt une artiste dans l’âme, j’ai toujours aimé dessiner et peindre. Pour moi, coder n’est qu’une forme d’art parmi d’autres.
Ce sentiment de ne pas être à sa place est-il un symptôme du “syndrome de l’imposteur” auquel tu as dédié une conférence TedX? Est-ce quelque chose qui touche principalement les femmes?
Oui, complètement. Je me suis toujours sentie comme une imposteure. J’ai ce sentiment à chaque fois que je dois faire quelque chose que je n’ai jamais fait. Comme je l’expliquais dans cette conférence Ted, la seule manière de le surmonter était de voir qui était qualifié pour faire ces choses dont on se croit incapable, et se rendre compte que ça n’a rien de magique, que ça s’apprend. On a peut-être l’impression que les femmes sont davantage concernées par ce syndrome, mais je pense qu’elles sont simplement plus enclines à en parler. Les hommes n’osent en parler à personne. D’ailleurs, la plupart des gens que j’ai coachés sur ce sujet sont des hommes.
Quelle place les femmes occupent-elles au sein de Microsoft?
La répartition est plutôt équilibrée sur l’ensemble de l’entreprise (environ 50 000 femmes pour 120 000 salarié·e·s), mais elle varie selon les secteurs. La proportion de femmes en informatique reste assez basse, par exemple. Le meilleur moyen d’augmenter le nombre de femmes dans ce milieu est de faire en sorte qu’elles soient très visibles. Or beaucoup de femmes n’aiment pas être au centre de l’attention et aller donner des conférences. Je suis quelqu’un de très timide et je passais autrefois mes journées derrière l’ordinateur à coder, mais ma mentor était formelle: “Dona, si les gens ne savent pas que tu existes, ils ne sauront pas que ton parcours est possible”.
Qu’apportent les réseaux de femmes au sein de Microsoft, comme Women in Technology?
Il s’agit du plus grand réseau de l’entreprise, qui réunit plusieurs milliers de femmes issues de secteurs différents. Sa philosophie consiste à conserver notre authenticité: l’objectif n’est pas de changer ni d’imiter les hommes. Nous avons aussi de nombreux autres groupes de parole plus réduits, d’une centaine de personnes, comme les femmes de la Power Platform. Ces réseaux sont nécessaires parce qu’ils nous permettent de nous encourager à accomplir des choses et à sortir de notre zone de confort. Je pense aussi que les femmes expérimentées devraient mettre en avant le plus possible les femmes plus jeunes. Sans mes mentors, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Il est aussi important de construire des relations avec des alliés masculins, qui sont capables d’influencer des groupes que nous ne pouvons pas toujours atteindre. Je leur dis souvent que s’ils veulent de la diversité dans leurs équipes, la bonne volonté ne suffit pas: il faut aller à la rencontre de différents types de personnes, en se rendant à l’AfroTech Conference ou aux événements organisés par Women in Tech, par exemple.
“Il faut lutter contre l’idée que les matières scientifiques sont ennuyeuses et qu’elles n’intéressent pas les filles.”
Peux-tu nous parler de Fibonacci Sequins, l’initiative que tu as lancée pour favoriser la diversité dans les disciplines scientifiques?
C’est une communauté et un blog dont l’objectif est de montrer que nos apparences ne disent rien de nos capacités. Notre look n’a aucune importance, nous pourrions tous être des ingénieur·e·s dans la tech. Pour illustrer ce message, nous avons réalisé une centaine d’interviews avec des personnes du monde entier.
Comment encourager les filles, le plus tôt possible, à se diriger vers ce milieu?
Déjà, ces disciplines doivent paraître intéressantes et s’adapter à ce qu’aiment les enfants (le côté ludique et interactif, le fait de construire soi-même des objets…) Ensuite, il est important que des personnes comme moi aillent leur parler de leurs projets, pour que des filles de 5 ans puissent se dire qu’elles peuvent y arriver si elles le souhaitent. C’est ce que je fais dans le cadre de l’initiative Hour of Code où nous intervenons dans des classes pour apprendre les bases du code aux enfants. Et surtout, il faut lutter contre l’idée que les matières scientifiques sont ennuyeuses et qu’elles n’intéressent pas les filles. On ne leur dit jamais de ne pas étudier les arts, la littérature ou la communication. Or l’informatique est une discipline avant tout créative!
Propos recueillis par Sophie Kloetzli
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