Nous avons demandé à des femmes transgenres ce qu’elles pensaient de leur représentation dans le film Lola vers la mer, de Laurent Micheli. Voici leurs réponses.
Lola vers la mer, en salle le 11 décembre, est avant tout l’histoire de Lola (Mya Bollaers), une skateuse trans de 18 ans qui vient de perdre sa mère. Mais c’est aussi celle de son père (Benoît Magimel), un homme rude qui n’arrive pas à accepter la nouvelle identité de sa fille. Ce deuil va les obliger à se retrouver. Laurent Micheli (Even Lovers Get The Blues) signe ici un road-trip touchant et réaliste, à l’opposé du film Girl de Lukas Dhont, auquel il est difficile de ne pas penser. Les deux longs-métrages ont beaucoup en commun: ils sont belges, réalisés par des hommes gays cis, c’est-à-dire dont le genre correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance, et traitent de la transition d’une adolescente et de sa relation avec son père. Les similarités s’arrêtent là. Alors que Girl avait été jugé voyeuriste, irréaliste et même dangereux par de nombreuses personnes transgenres, Lola vers la mer a conquis les femmes trans que nous avons interrogées. Elles vous expliquent pourquoi.
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Une féminité loin des clichés
“Le film m’a vraiment touchée”, explique Jade, une chercheuse belge pour qui le personnage de Lola est crédible et la relation conflictuelle avec son père très vraie. “La plupart des dialogues entre Lola et son père, je les ai eus avec mes parents. J’ai aussi vécu des situations similaires à celles traversées par Lola, par exemple le jugement du pharmacien quand j’achète mes hormones.” Daisy, une trentenaire, n’a pas connu les mêmes tensions familiales que Lola, mais elle s’est reconnue dans son rapport à la féminité. Lola a une dégaine de skateuse, des tatouages et des cheveux roses, comme Daisy. “Elle représente une féminité trans que l’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran, explique-t-elle. Les femmes trans dans les films et séries sont souvent des stéréotypes des femmes des années 50: très apprêtées, maquillées. Lola ressemble plus aux jeunes filles trans que j’ai pu rencontrer, qui sont un peu marginales, à l’écart des normes.” Pour les deux femmes, le fait que l’actrice soit trans elle-même y est pour beaucoup. “Son rapport au corps est plus naturel”, estime Jade. “On sent qu’elle a influencé le film”, ajoute Daisy.
“Très souvent, dans les films et séries sur la transition, il y a une obsession pour nos corps, pour l’avant-après.”
La transition n’est pas qu’une affaire de corps
Le corps de Lola est à la fois important, en ce qu’il est l’expression de l’identité de Lola, et secondaire. “Très souvent, dans les films et séries sur la transition, il y a une obsession pour nos corps, pour l’avant-après”, estime Daisy. Elle déplore l’existence d’un “cis-gaze”, une habitude des personnes cis à filmer le corps trans en le fétichisant, l’objectifiant. “Ils sont obsédés par nos parties génitales, continue-t-elle. Dans Girl, le nombre de plans sur son entrejambe est impressionnant. Dans Lola vers la mer, il n’y a pas de voyeurisme. Lola est filmée comme n’importe quelle actrice cis.” Jade acquiesce: “Le film ne cherche pas à montrer ce qu’il lui resterait de sa masculinité, il la montre comme une femme.” Plutôt que de s’intéresser à la transition physique, le film met en scène la transition sociale, “qui est la plus importante pour la majorité des personnes trans”, selon Daisy. La transition n’est pas qu’une prise d’hormones et un changement de garde-robe, c’est un changement radical de vie. Il faut faire son coming-out, ce qui peut changer les dynamiques familiales et amicales, s’habituer à la transphobie mais aussi à sa place dans la société maintenant que l’on est identifié·e comme femme ou homme. Une transition s’accompagne souvent aussi de nouvelles amitiés. Jade et Daisy notent que dans le film de Laurent Micheli, Lola est intégrée dans la communauté trans, elle n’est pas seule contre toutes, elle vit sa transition avec le soutien de ses pairs. C’est là le réalisme du film, la transition n’est pas une souffrance mais une prise de puissance.
© Les Films du Losange
La vraie souffrance, c’est les autres
“Dans Lola vers la mer, la transition est ce qui donne à Lola sa force, c’est ce qui lui permet de s’affirmer face aux autres. Les problèmes auxquels elle fait face viennent des autres, de la transphobie. C’est plus proche de nos expériences, nos vécus”, explique Daisy. À l’inverse, entretenir l’idée que la transition est un événement douloureux en soi, comme dans Girl, est dangereux, estiment Daisy et Jade. “Si une famille a en tête cette image de la transition comme une souffrance, elle peut l’utiliser pour convaincre la personne trans de ne pas transitionner, explique Daisy. La transition n’est pas douloureuse si on est accepté·e par les personnes qui nous aiment.” Mais il ne faut pas pour autant oublier ce que la transition peut représenter pour la famille. Jade a apprécié la symbolique du deuil dans le film. “Le père doit faire le deuil de son garçon. On le voit traverser toutes les phases: le déni, la colère, la négociation, la tristesse et, enfin, l’acceptation.” À aucun moment, le film ne le juge. Il nous invite au contraire à nous mettre à la place des deux personnages. “À la sortie du film, j’ai entendu des hommes cis dire qu’ils s’étaient identifiés au père, continue Jade. Cela les a poussés à questionner leur rapport aux transidentités. C’est la force du film: il laisse les spectateur·ice·s tirer leurs propres conclusions.”
Aline Mayard
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