Des hommes violents est un podcast en six épisodes du journaliste Mathieu Palain, réalisé par Cécile Laffon pour France Culture. Il apporte un éclairage rare sur les violences conjugales en tendant son micro à des agresseurs plus ou moins repentis.
Mathieu Palain est bien connu du petit monde du journalisme, beaucoup moins de celui du féminisme. Et pour cause, il dit lui-même n’avoir jamais vraiment pris ce sujet au sérieux avant de se lancer sur ce podcast. “Moi aussi, j’ai collé à des codes de la virilité en m’intéressant à des sujets dits de mec, confie le journaliste de 31 ans, passé par Libération et XXI. Mais ça faisait un moment que je réfléchissais à intégrer un groupe de parole d’hommes violents, pour voir à quoi ça ressemblait. Je pense que je me demandais si, moi aussi, j’aurais pu être l’un d’eux. Je n’ai jamais frappé une femme, mais j’avais conscience que je pouvais réagir de manière violente à la frustration ou la colère, et j’ai commencé à me demander d’où cela venait.” Une lettre d’auditrice adressée à l’équipe des Pieds sur Terre sur France Culture va tout accélérer. La productrice Sonia Kronlund sait que le sujet l’intéresse, elle lui fait suivre ce témoignage d’une certaine Cécile, qui est au cœur du premier épisode.
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“La violence est tellement ancrée dans leurs représentations que, pour eux, taper sa femme, c’est être un homme.”
Victime de violence conjugale, la jeune femme, qui a donné la première gifle avant de se faire rouer de coups par son compagnon, se retrouve obligée par la justice à suivre une journée de stage pour personnes violentes et ne se remet pas d’une telle incohérence. Mathieu Palain la rencontre alors qu’il vient justement d’obtenir l’autorisation d’intégrer un groupe de parole d’hommes incarcérés pour violences conjugales. Il les suivra pendant dix séances de deux heures à Lyon. Tout s’enchaîne et six épisodes plus tard, c’est une analyse à la fois intime et sociétale qu’il nous offre à travers les témoignages d’auteurs de violences, de femmes sous emprise, de professionnels du secteur. Il accompagne son enquête d’une réflexion sur son propre parcours d’homme hétéro, biberonné aux injonctions à la masculinité. Le résultat est un podcast à la fois intime et documenté qui, en se positionnant du côté viril de la force, offre quelques clés précieuses pour comprendre comment la domination masculine engendre trop souvent la violence et pourquoi cela entretient le patriarcat de génération en génération. Interview express.
Pourquoi t’être soudainement intéressé aux violences conjugales?
Depuis #MeToo, je lis des choses sur la question du féminisme, mais d’une façon un peu distante, presque voyeuriste. Dans ma famille, on m’a toujours dit que j’avais un côté macho. Petit à petit, j’ai commencé à me dire que ces mecs violents, d’une certaine façon, c’était moi, ou bien mes amis. D’ailleurs, j’ai été étonné en parlant avec les hommes du groupe de parole de voir à quel point ils ne voyaient pas où était le problème. La violence est tellement ancrée dans leurs représentations que, pour eux, taper sa femme, c’est être un homme. J’ai voulu comprendre le mécanisme de cette violence-là, peut-être pas si éloignée de celle qui conduit à casser la gueule d’un mec qui nous a mal parlé dans la rue.
Quel est le moment qui t’a le plus marqué pendant ce reportage?
L’un des tournants a été lorsque j’ai essayé de joindre la femme de Franck, un des hommes du groupe avec qui j’avais sympathisé. Il m’a raconté son histoire et j’ai bien vu que ça allait être compliqué pour lui de sortir de cette spirale après 50 ans de construction d’une masculinité violente. Sa femme était en train de le quitter et n’a jamais voulu qu’on se rencontre, elle voulait passer à autre chose. J’ai compris que j’étais à mon tour en train de la harceler, et qu’en fait, malgré l’empathie que j’avais pour Franck, j’étais content qu’elle ne revienne pas auprès de lui.
“J’aimerais qu’on prenne tous et toutes conscience que cet homme violent, ça peut être notre pote, notre frère, notre père.”
Qu’est-ce qui a changé dans ta vision de la masculinité?
Depuis que j’ai fait ce podcast, je prête beaucoup plus attention à ce que je vois et ce que j’entends. J’ai questionné ma mère, qui me raconte dans un épisode une agression dont elle n’avait jamais parlé à personne. J’ai parlé avec mes sœurs, mes amies, j’ai pris conscience de la banalité des violences faites aux femmes. Maintenant, je vois ce que l’effet de groupe peut produire de violent et misogyne chez les hommes, et surtout, j’ai compris que, quand une femme parle, il faut l’écouter.
Qu’espères-tu qu’on retiendra de ce podcast?
J’aimerais qu’on prenne tous et toutes conscience que cet homme violent, ça peut être notre pote, notre frère, notre père. Que les 220 000 femmes victimes de violence chaque année ne sont pas agressées par des psychopathes mais par leurs maris. Si tu refuses de voir ça, tu ne peux pas mesurer l’ampleur du problème. Dans un épisode, je rencontre Louise, une jeune femme qui est restée quatre ans avec un conjoint violent et qui le revoit cinq ans plus tard, sans qu’il n’ait jamais été inquiété. Il dit qu’il n’a aucun souvenir de rien. Ce jeune homme, il est très inséré socialement, il présente bien, il n’a rien d’un monstre. C’est exactement ce que dit Adèle Haenel dans son témoignage, et c’est ce que j’ai compris en travaillant sur le sujet.
Te considères-tu comme un “allié” du féminisme?
Non, je n’en suis qu’au début de mon apprentissage. Je suis encore en CP, j’apprends à lire! Mais je comprends mieux ce qu’on me dit. Il y a encore quelques années, j’aurais trouvé qu’une femme qui porte plainte pour un baiser forcé à la sortie d’un bar exagérait. Maintenant, quand je vois les collages dans Paris qui dénoncent les féminicides, je sais qu’un coup peut être mortel, et qu’on passe vite du mec qui a juste poussé sa copine à celui qui l’a tuée.
Propos recueillis par Myriam Levain
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