En 2028, le marché de la seconde main devrait pour la première fois dépasser celui de la fast fashion selon le dernier rapport du site américain de revente de vêtements thredUP. Le succès de cette marketplace engagée pour une consommation plus responsable a de quoi réjouir à un moment où la mode –deuxième industrie la plus polluante au monde– est remise en question par l’impératif écologique. Pour autant, si de nouvelles pratiques sont bien parties pour s’installer, on ne peut pas encore tout à fait célébrer la victoire du durable sur le jetable.
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Une nouvelle accessibilité
La tendance bouleverse les grandes enseignes, à tel point que les Galeries Lafayette ont ouvert leur propre réseau de revente de vêtements au printemps. C’est grâce à Internet, et notamment au développement d’applis, que le marché de la seconde main est en plein essor. Comme le rapporte le Monde, l’Institut Français de la Mode (IFM) estime à plus d’un milliard d’euros le chiffre d’affaires annuel pour le marché français de la seconde main. Par ailleurs, toujours selon le quotidien du soir, la France est la “meilleure cliente” de Vinted, dont le fondateur revendique + 230 % de croissance en un an dans l’Hexagone.
Créée en janvier 2017, CrushON est une plateforme qui rassemble l’offre de 85 magasins vintages. Camille Greco, l’une de ses fondatrices, explique: “On ne pouvait pas retrouver la même offre en ligne qu’en boutique. Il y avait soit du luxe (Vestiaire Collective), soit du particulier à particulier (Etsy, Le Boncoin…) où il est difficile de trouver ce que l’on veut, en restant qualitatif et à bas prix.” CrushON se donne ainsi la mission de démocratiser l’achat de pièces vintages, dans une optique de consommation écoresponsable.
Dé-consommation et ambitions écolos
En réalité, plusieurs dynamiques structurent la croissance globale du secteur de la seconde main, et la revente de vêtements à peine portés représente une grande part du marché. La nécessité de s’habiller à moindre prix resterait la motivation principale de l’achat d’un vêtement vintage. Aux États-Unis, le marché de la fripe a commencé à se développer à partir de 2008, l’année de la crise des subprimes. De même, depuis 2007, le marché français de la mode a chuté de 14 % selon Le Monde.
Ce sont les Millenials qui, selon thredUP, tirent vers le haut les chiffres du marché de la seconde main. Mais, dans son dernier rapport, le site met également en évidence nombre de comportements d’achats boulimiques: les 18-34 ans porteraient un vêtement seulement une à cinq fois avant de s’en séparer, et seraient les acheteurs les plus compulsifs. “Tant que les vêtements neufs resteront moins chers que la seconde main ou le vintage, les comportements d’achat ne pourront pas complètement changer”, souligne Majdouline Sbaï, sociologue et autrice d’Une mode éthique est-elle possible? (éd. Rue de l’échiquier). Or, le volume de vêtements neufs produit aujourd’hui est tel que le marché de la fripe ne peut pas tout absorber.
Pour autant, les répondants de l’enquête thredUP disent aussi avoir envie de mieux faire, et déclarent favoriser à présent des marques plus responsables. En fait, selon la marketplace, la seconde main permet de répondre aux contradictions de cette tranche de population renommée “Instagram generation”. “La représentation de soi est plus importante que la représentation réelle. La question de l’accumulation se pose tout à fait différemment, et tendrait à accentuer la dé-consommation”, explique Majdouline Sbaï.
Penser les bases d’une économie circulaire
On ne sait jamais exactement ce que l’on va trouver en seconde main, mais c’est ce qui en fait l’intérêt: faire de bonnes affaires, ou trouver des pièces uniques. Pour Majdouline Sbaï, “l’effet ‘argus’ peut être bénéfique. On pense en circularité, en anticipant. C’est acheter moins et mieux, pour garder la valeur, revendre ou transmettre”. Et de conclure: “Il y a tout un business model à imaginer autour du nettoyage, de la customisation, de la teinture… Mais, encore une fois, c’est compliqué quand on parle de vêtements peu qualitatifs faits à très bas prix.”
Autre bémol, les vêtements déposés en containers, et qui alimentent les boutiques de fripes, font l’objet d’une économie mondialisée. Une quantité infime de nos vêtements est recyclée en France, près des trois-quarts sont envoyés à l’étranger, au Maghreb ou en Europe de l’Est. “Cela produit deux choses négatives: cela tue l’économie locale, et les vêtements seront brûlés s’ils ne sont pas vendus”, explique Camille Greco. Le développement du marché de la seconde main pourrait en fait amener toute l’industrie à repenser sa structure en faveur de circuits courts, du choix de meilleurs textiles et, surtout, d’une réduction des volumes produits.
Apolline Bazin
Cet article a été initialement publié sur le site des Inrocks.
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