Zoé Royaux, 39 ans, avocate pénaliste et porte-parole de la Fondation des femmes est la petite-nièce de Benoîte Groult. Forcément, elle a grandi dans une famille très féministe où la notion d’égalité femmes-hommes est présente depuis plusieurs générations. Une ascendance qu’elle revendique. Partie prenante du Grenelle des violences conjugales qui doit rendre ses conclusions ce lundi 25 novembre, elle plaide pour une augmentation significative des moyens alloués à la lutte contre les violences faites aux femmes, seule façon selon elle d’avancer concrètement, loin des effets d’annonce et des coups de communication. Rencontre.
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À quand remonte ton engagement féministe?
Moi, le féminisme, je ne l’ai pas découvert au moment où on parle beaucoup des chiffres des féminicides ou des violences sexuelles. J’ai grandi dans une famille qui a toujours considéré qu’il devait y avoir une égalité stricte entre les hommes et les femmes, une éducation dans laquelle on considère que la place des filles, des femmes, est au même endroit que celle des garçons. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’engagements sur la question du féminisme, qui ne sont pas forcément opportunistes mais qui correspondent à un réveil citoyen.
Quel est ton héritage féministe justement?
Ma grand-mère, c’est Flora, la sœur de Benoîte Groult. Leur mère, mon arrière-grand-mère, était déjà très féministe. Elle avait sa propre maison de couture à Paris dans un milieu social favorisé certes, mais c’est elle, déjà, qui a décidé de travailler alors que son mari gagnait bien sa vie, ce qui n’était vraiment pas commun à l’époque. Elle évoluait dans un univers très féminin avec beaucoup d’artistes. Toutes les deux ont été élevées dans cet environnement, et à leur tour, elles ont élevé leur fille, dont ma mère, de manière très égalitaire.
Y a t-il un moment où le gap générationnel s’est ressenti avec Benoîte Groult sur la question de l’engagement féministe?
Quand j’ai commencé à m’engager officiellement avec Osez le féminisme!, j’ai essayé d’attirer son attention en lui parlant de notre grande campagne de sensibilisation “Osez le clito” de 2011. Elle m’avait répondu “Je ne vois pas pourquoi on oserait un organe dont on dispose dès la naissance, je trouve ça nul comme slogan”! Là, je me suis dit: “C’est bon, je n’irai jamais aussi loin qu’elle!” Je pense qu’elle trouvait qu’on n’était peut-être pas assez combatives, qu’on ne se rendait pas compte de toutes les luttes menées auparavant et que les acquis ne le sont jamais définitivement. C’était toujours intéressant de parler avec une femme beaucoup plus âgée et en même temps bien plus rock que moi!
“Le métier d’avocat est encore très misogyne.”
Avais-tu conscience, plus jeune, que tu étais porteuse de cet héritage-là?
Je n’en avais pas conscience à la maison, même si mon frère et mes cousins faisaient souvent des blagues sur le fait que les hommes devaient faire attention à ce qu’ils disaient. En fait, c’est en me confrontant à l’extérieur, que j’ai commencé à comprendre. Au collège, en cours d’éducation civique, je me souviens que sur la question de la place des femmes, j’étais déjà outrée d’entendre des camarades garçons affirmer qu’ils se sentiraient très mal si leur femme, plus tard, gagnait autant voire plus qu’eux. Plus jeune, on disait de moi que j’étais hystérique, extrémiste. Moi, ma position me paraissait normale et elle l’était. Le problème, ce n’était pas moi, c’était bien les autres.
Aujourd’hui, ton milieu professionnel te semble-t-il encore loin de l’égalité?
Oui, le métier d’avocat est encore très misogyne. C’est un milieu où l’on considère encore que les femmes sont meilleures à défendre les victimes, à faire du droit de la famille… Le fameux instinct maternel même quand on n’a pas d’enfants! Encore aujourd’hui, les femmes avocates sont moins associées dans les cabinets, encore trop souvent collaboratrices, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes avocates est toujours trop important (Ndlr: elles touchent en moyenne 51 % de rémunération de moins à Paris). Le congé paternité, même si les choses avancent un peu, est encore mal vu dans beaucoup de cabinets, qui considèrent que ce n’est pas viril de prendre des congés pour s’occuper de ses enfants. J’ai cherché à éviter cela. Il y a 10 ans, je me suis associée à un homme, dans mon propre cabinet, une petite structure. Je ne souhaitais pas être soumise à l’autorité de quelqu’un qui a tout pouvoir sur vous.
Les femmes avocates elles-mêmes contribuent-elles sans le vouloir à faire perdurer ces inégalités?
Oui, c’est vrai. J’ai beaucoup d’amies qui préfèrent qu’on dise d’elles qu’elles sont “avocats” et non “avocates” parce qu’elles pensent que c’est plus noble et que si elles veulent être prises au sérieux, il vaut mieux qu’on les appelle “avocats”. Ça me dérange beaucoup mais c’est un combat qu’on doit mener toutes et tous ensemble. Pourtant, ça ne dérange personne de dire “sage-femme”, “infirmière”, ou “boulangère”…
Est-ce pire dans le milieu des avocats pénalistes où tu évolues?
Oui, mon métier est toujours associé à une forme de virilité, à l’idée que la plaidoirie nécessite de se battre sur un ring, impliquant de la colère; chez les femmes on ne parle pas de colère mais d’hystérie. Les dossiers sont tenus par des hommes, et quand ils constituent un renfort d’avocats c’est plutôt à des hommes avocats qu’ils font appel. Dans la presse, les grands avocats pénalistes sont toujours des hommes, on parle de ténors, mais il y a aussi des femmes de la même génération tout aussi bonnes voire meilleures, sauf qu’on ne parle jamais de “divas”, un mot qui ne sonne d’ailleurs pas de la même manière. Le problème, c’est que les femmes ne se mettent pas autant en avant, pensant peut-être plus à l’intérêt de leur client·e qu’au leur, alors que les hommes n’hésitent pas à s’emparer du micro. On en revient toujours à cette histoire de légitimité car c’est encore comme ça que les femmes sont élevées. On s’excuse toujours, on se demande si on est compétente ou légitime sur tel sujet.
“Il faut continuer à pousser un peu les murs.”
Quelles conséquences cela a-t-il sur l’avocate que tu es et la façon d’exercer le métier?
Je pense qu’on plaide comme on est. Oui, on dit des femmes qu’elles seraient moins bonnes en procédure comme on dit qu’elles sont moins bonnes en maths, qu’elles font appel à l’émotion. Moi, ce n’est pas mon crédo. Je ne plaide pas différemment de mon voisin parce que je suis une femme, je plaide différemment parce que mes convictions, mon tempérament, et mon parcours ont une influence sur mon travail. Quant aux stéréotypes qui poursuivent les femmes, je n’ai aucune tolérance. Comment on lutte contre ça? En étant le plus indépendante possible ou en faisant la révolution dans un grand cabinet. J’ai des amies avocates qui y parviennent. Il faut continuer à pousser un peu les murs.
Que penses-tu du Grenelle des violences conjugales dont les annonces sont attendues pour ce lundi 25 novembre?
Les associations étaient très dubitatives sur la création de ce Grenelle. À la Fondation des femmes, on a considéré qu’il fallait jouer le jeu et y aller. On était aussi très contentes du travail en amont réalisé par les associations de recueil de données et des solutions qu’elles avaient en main. Mais on est tou·te·s d’accord aujourd’hui: le risque du Grenelle, ce sont les effets d’annonce et le problème, c’est le manque de budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes. Rien dans ce qui a déjà été annoncé n’est encourageant. C’est très bien de faire des réunions, des colloques, des cocktails pour une “restitution de groupes de travail’ mais concrètement, comment on agit et avec quels moyens? Il y a un problème de formation et d’effectifs dans les commissariats, les tribunaux. On nous dit qu’il y a 30 % de plaintes en plus depuis #MeToo mais il n’y a pas 30 % de personnes en plus pour instruire ces plaintes! Ce sont toutes ces questions qui doivent être réglées. Nous en sommes à 137 femmes tuées par féminicide en 2019. Ce qui est terrible, c’est qu’aujourd’hui, on s’est habitué à ces morts alors que les histoires sont toutes les mêmes. C’est un collectif avec une femme qui, derrière son écran, tient le compteur, ce n’est pas le ministère qui le fait. Comment est-ce qu’un pays accepte de traiter un phénomène sans être capable de quantifier lui-même? Mais il faut rester combatives malgré la colère qui parfois s’empare de nous.
Propos recueillis par Nassira El Moaddem
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