Dans un témoignage aux allures d’essai politique, Enora Malagré revient sur ses années d’errance médicale et de souffrance et raconte sa cohabitation difficile avec l’endométriose, une maladie qui touche environ une femme sur dix en France.
Il a fallu des années à Enora Malagré pour briser le silence et parler de sa maladie: l’endométriose. La première fois qu’elle la mentionne publiquement, c’est sur le plateau de Touche pas à mon poste, en février 2017. La chroniqueuse doit répondre à la question d’un internaute qui lui demande “À quand les enfants?”. Lasse, Enora Malagré lâche qu’elle est atteinte d’endométriose. Au bord des larmes, elle se heurte à l’indifférence générale et l’émission continue comme si de rien n’était.
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Deux ans et demi plus tard, la comédienne revient sur cet épisode et son parcours chaotique dans Un Cri du ventre, publié aux éditions Leduc.s. L’ouvrage décrit sans tabou et sans détour la maladie, les symptômes et leurs répercussions dans la vie professionnelle et personnelle de son autrice. Car si l’endométriose est de plus en plus médiatisée en France, la réalité de celles qui en souffrent -environ une femme sur dix- reste mal connue. Avec son livre, Enora Malagré apporte sa pierre à l’édifice du témoignage, essentiel pour ouvrir les esprits et faire évoluer les mentalités.
Comment est née l’envie d’écrire ce livre?
Après le prime de Touche pas à mon poste, je suis rentrée chez moi et j’ai découvert que j’avais reçu des milliers de mails de femmes me disant qu’elles aussi souffraient d’endométriose. Je me suis dit que je ne pouvais pas ne rien faire de cette dose d’amour, de solidarité et de sororité. L’idée du livre a germé, parce que l’intimité de la lecture correspondait à l’intimité de la maladie. Mais j’ai mis du temps à passer à l’action, notamment parce que j’ai vécu plusieurs fausses couches… un autre sujet très tabou.
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Pourquoi avoir fait le choix d’utiliser un langage cru pour décrire les symptômes de la maladie?
J’entends parler de l’endométriose depuis quelques années, nous sommes plusieurs à témoigner mais personne ne sait vraiment ce qu’est une crise d’endométriose. Il faut donc le dire! Tu fais caca sous toi, tu vomis, tu perds du sang! Les mots sont importants. On va appeler un chat un chat, un vagin un vagin. Si on ne le fait pas, on participe au déni de cette maladie. Il faut dire concrètement à quel point ça pourrit la vie pour que les choses avancent et pour que les diagnostics se fassent plus rapidement. Parce que je ne suis pas la seule à avoir vécu un parcours du combattant.
Dans le livre, tu ne parles pas que d’endométriose, tu soulèves également des problèmes de société auxquels font face les femmes. Dirais-tu que ce livre est politique?
Je suis féministe, j’ai été élevée par des femmes qui le sont. En écrivant le livre, je me suis rendu compte que j’avais été soumise -et que j’ai participé- à tous les diktats tels que la sur-objectivation ou l’hypersexualisation des femmes. L’écriture a été une sorte de réveil et grâce à elle, je me suis réapproprié mon identité après m’être mise de côté pendant dix ans. Je me suis dit que j’allais pouvoir essayer d’être qui je suis sans avoir peur du jugement de qui que ce soit… En cela oui, j’entends que le livre peut être politique.
“Si l’endométriose avait été une maladie d’hommes, je pense qu’on aurait déjà trouvé la solution!”
L’endométriose est une maladie de moins en moins taboue, notamment grâce aux témoignages comme le tien. Mais selon toi, que va-t-il rester, concrètement, de ces prises de parole?
C’est la question qu’on peut se poser. C’est des témoignages comme le mien, qui racontent ce qu’est la quotidienneté de l’endométriose, qui permettront que le soufflet ne retombe pas. D’autant plus qu’il s’agit toujours d’une maladie dont on ne guérit pas. Alors oui, il y a des opérations, la ménopause chimique… mais il y a tous les effets secondaires dont on ne parle pas: tu prends 10 kilos, tu as des bouffées de chaleur, de l’hypertension… Si cela avait été une maladie d’hommes, je pense qu’on aurait déjà trouvé la solution! Mais je ne pense pas qu’il n’en restera rien, notamment parce que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé en mars dernier un plan d’action pour renforcer la prise en charge de l’endométriose.
Quel est ton point de vue sur cette décision?
C’est formidable mais j’attends de voir! Comme quoi, prendre la parole ou faire des marches sert à quelque chose. Mais comme la majorité des Français·e·s, ma confiance en nos responsables politiques est amoindrie. Néanmoins, je trouve formidable que l’on soit dans un pays où l’on observe des actions et une réaction. Ce n’est pas le cas partout.
À ton avis, et selon ton expérience, que faudrait-il généraliser?
Concernant l’endométriose, il y a tout à refaire! Je ne suis pas assez calée pour parler des études de médecine car je ne sais pas quand et comment on parle de cette maladie mais apparemment il y a un truc qui pèche. Entre les diagnostics tardifs et les idées reçues sur les douleurs pendant les règles… Il va falloir faire bouger les mentalités et pas seulement au sein des cabinets de médecine. C’est toute la société qui doit évoluer. J’ai par ailleurs constaté que les États-Unis, Israël et l’Allemagne étaient plus avancées par rapport à cette maladie, parce qu’elles proposent de nouveaux traitements. On ne bénéficie pas encore du recul médical mais au moins des recherches sont effectuées. Pourquoi pas en France? On dispose quand même d’une médecine formidable! On est à la pointe sur certaines maladies… mais pas concernant l’endométriose.
Propos recueillis par Arièle Bonte.
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