Sarah Ben Romdane est Franco-Tunisienne-Syrienne et a grandi à Londres. Aujourd’hui Parisienne, elle fait partie de l’équipe fondatrice du média Mille World, consacré à la “youth culture” arabe. La jeune femme a décidé de nous interpeller avec son récent projet, Ramadan Sisterhood. À travers une série de photographies fortes –Sacred Sisterhood– signées du photographe Jawher Ouni, elle tente de démonter les clichés autour des femmes musulmanes. Une façon de les donner à voir autrement, à l’heure où celles-ci ne sont que trop peu représentées dans les médias mainstream ou encore en politique. Rencontre.
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Comment t’est venue l’idée du projet Ramadan Sisterhood?
Sarah Ben Romdane: C’est parti d’un constat: celui que les personnes de couleur/minorités, et en l’occurrence les femmes musulmanes comme moi -qu’elles soient musulmanes de croyance, de pratique, de culture ou de famille- ne sont que rarement représentées dans les médias français. Même si ces dernières années, on a pu voir plus de diversité, notamment dans la mode, les jeunes femmes musulmanes restent majoritairement sous-représentées ou mal représentées. Dans l’imaginaire contemporain, la femme musulmane est souvent conceptualisée comme faible et oppressée. J’ai vraiment envie de pouvoir changer cette représentation et de redonner du pouvoir à ma communauté, notamment parce qu’en raison de cette invisibilité dans les sphères politiques et culturelles mainstream, beaucoup de femmes musulmanes grandissent sans “role model”. Je pense qu’il est temps pour nous de prendre les choses en main.
Quelle vision de la femme veux-tu renvoyer?
En ce qui concerne les femmes musulmanes, il est important pour moi de montrer que nous sommes des personnes complexes, aux multiples facettes et nuances. Nous avons chacune notre individualité, et chacune vit plein d’expériences différentes. Les gens ont tendance à penser que les femmes musulmanes – en particulier si elles sont voilées – adhèrent à une définition très spécifique, et en fait très étroite, de la modestie.
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C’est important pour moi de démontrer qu’en fait, les jeunes femmes musulmanes se réapproprient souvent les codes à leur sauce, et qu’elles sont totalement en contrôle de leur identité. Il existe plein de façons d’être une femme musulmane, et aussi d’être une femme voilée. J’adore celles qui arrivent à négocier et exprimer leur religiosité comme elles le souhaitent, à travers la mode et le maquillage, et loin des clichés. En fait, la nouvelle génération de jeunes femmes voilées adhère à une conception du hijab qui est hyper fluide, alors qu’en France, les gens ont une vision des choses encore trop rigide. J’ai une approche féministe intersectionelle, donc la vision des femmes que j’aimerais projeter est surtout celle de la solidarité. C’est important pour moi de promouvoir un féminisme qui n’est pas exclusif aux femmes blanches de classe moyenne et bourgeoise, mais qui, au contraire, est inclusif. Et puis, de montrer qu’au-delà du paramètre individuel, le féminisme est surtout une cause collective.
Pourquoi as-tu choisi le medium photographique?
Tout simplement parce que l’on a besoin de se voir en images, et à l’écran. J’avais aussi envie de contrer une culture visuelle qui est d’une part largement dominée par des hommes, mais surtout par des blancs et pour des blancs. Un peu comme avec la tendance du “female gaze”, ça me semble important qu’on puisse se réapproprier notre propre image et histoire. C’est une forme de souveraineté visuelle. Les photos sont également des archives, une trace de l’histoire, et je trouve cette notion importante. Et puis, on avait envie de travailler sur un projet ensemble avec Jawher Ouni, et cette thématique résonnait en lui aussi.
“Nous méritons d’être reconnues et d’avoir une voix aussi audible que celle des autres.”
Pourquoi avoir choisi de parler en particulier du Ramadan? Plus que la religion, tu sembles avoir voulu faire un lien avec la famille?
J’avais envie de parler du Ramadan parce que je pense que c’est encore une pratique assez stigmatisée, qui paraît pour certains archaïque. En réalité, c’est surtout un moment de partage et de rassemblement. J’avais envie de capturer un rituel, quelque chose de sacré. Mais en même temps, je ne voulais pas faire dans la protestation. Je voulais montrer quelque chose d’assez ordinaire, de sincère. Surtout, une énergie authentique et un sens de l’amitié fort entre ces filles. J’avais envie de mettre en lumière l’image d’un “girl gang”, et de montrer qu’au-delà du stéréotype mignon et doux que cette image peut évoquer, c’est un vrai symbole de puissance.
Pourquoi est-ce particulièrement nécessaire de construire des “discours positivistes” pour protéger les femmes aujourd’hui?
Je pense que c’est, en effet, important de construire un discours positiviste pour protéger les femmes, mais surtout les femmes de couleur parce que nous sommes discriminées et absentes du dialogue. C’est simple, nous méritons d’être reconnues et d’avoir une voix aussi audible que celle des autres.
Propos recueillis par Pauline Malier
Ce papier a été initialement publié sur le site des Inrocks.
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