Dans un court témoignage personnel, Bettina Zourli raconte pourquoi elle ne souhaite pas avoir d’enfants et pourquoi ce choix est sans doute très générationnel.
S’il y a une phrase qui agace particulièrement Bettina Zourli, c’est quand on lui dit qu’à son âge, elle peut changer d’avis. À 27 ans, la jeune femme est pourtant certaine de ne pas vouloir d’enfants, mais elle s’entend régulièrement opposer l’argument de la jeunesse, voire de l’immaturité quand elle explique son choix. C’est d’ailleurs à force de l’encaisser qu’elle a décidé de prendre la plume pour défendre sa position marginale -qui l’est de moins en moins- à travers un essai Childfree, Je ne veux pas d’enfant.
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Changement climatique, crise économique, réveil du féminisme: plusieurs tendances de fond convergent et peuvent dissuader de se lancer sur le chemin de la parentalité au XXIème siècle. Bettina Zourli n’est peut-être qu’un reflet de sa génération, moins encline à reproduire un mode de vie particulièrement remis en question actuellement. Son compagnon, qui est devenu son mari il y a quelques mois, partage sa vision du monde et ils sont tous les deux bien décidés à créer un foyer no kids. Passionnés de voyage, ils reviennent de deux ans au Guatemala où ils ont ouvert une maison d’hôtes et espèrent bien multiplier ce genre de projets à l’avenir, même s’ils viennent de poser leurs valises à Bruxelles, car la lilloise Bettina Zourli souhaitait se rapprocher de sa famille. “On s’est mariés et on revient vivre en Europe, tout le monde nous demande si on s’apprête à avoir des enfants, alors que pas du tout”, plaisante la jeune femme. Sûr de sa décision, son mari a procédé à une vasectomie qui a suscité beaucoup d’incompréhension autour du couple, et que les deux globe-trotteurs attribuent à une vision franco-française de la vie, peu ouverte au changement.
Dans son livre, Bettina Zourli expose un point de vue atypique et argumenté, étayé par d’autres témoignages qu’elle a recueillis au fil de ses recherches. Interview.
Comment as-tu su que tu ne voulais pas avoir d’enfants?
D’aussi loin que je me souvienne, je n’en ai jamais voulu. C’est quelque chose que je disais déjà au lycée et qui suscitait le plus souvent des blagues: on me disait que je serais la copine qui garderait les enfants des autres pendant les week-ends et les vacances. Jusqu’à mes 25 ans environ, on réagissait à cette non-envie de façon un peu superficielle, sans la prendre au sérieux. Maintenant que j’approche de la trentaine et que les gens commencent à faire des enfants, je sens le regard changer et devenir critique sur cette position, que je partage pourtant avec mon mari, ça a d’ailleurs été fondamental dans notre relation. Les femmes sont souvent les plus dures, j’entends régulièrement de leur part que je ne serai pas accomplie si je n’ai pas d’enfants.
Pourquoi avoir choisi d’en faire un livre?
Je ne m’étais jamais rendu compte du côté violent que suscitait ce choix de vie, et je me suis dit que ça méritait qu’on en parle. J’ai commencé à me renseigner, à lire, et j’ai observé qu’il n’y avait pas énormément de publications à ce sujet, surtout dans l’écriture francophone. Je rencontrais aussi des gens qui me racontaient leur histoire et j’ai voulu partager leurs témoignages et parler de nos expériences.
Les millennials sont-ils plus childfree que les générations précédentes?
Oui, je crois. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai senti que cette question était dans l’air du temps, elle est liée à des problématiques actuelles. Peut-être qu’il y a cent ans, je n’aurais pas été childfree. Aujourd’hui, Il y a bien sûr le sujet de l’écologie, les gens se questionnent de plus en plus sur l’avenir de la planète. Mais il y a aussi l’aspect financier, qui concerne particulièrement les jeunes. Quand on entre sur le marché du travail, on est rattrapé par une réalité hyper dure dont on avait été préservé pendant les études, qui sont gratuites en France et donc accessibles à tous. Le féminisme est aussi un argument qui revenait souvent. Mais je crois que les bases de la réflexion des childfree sont très terre-à-terre: quand tu as peur de l’avenir, tu ne te lances pas dans un projet aussi irréversible que celui de faire un enfant. Les gens ont peur du côté irréversible de ne pas avoir d’enfant, mais en avoir l’est tout autant.
“Je veux conserver cette spontanéité et cette possibilité d’être surprise dans ma vie. Et ce n’est pas parce que j’ai un utérus que ça change quelque chose.”
À titre personnel, quelle est la part féministe de ta démarche?
Je parle de cette question dans mon livre car elle était récurrente dans les témoignages, mais dans mon cheminement personnel, je ne crois pas que ce soit déterminant. Je ne me considère pas comme carriériste, mais je vois bien que la maternité peut freiner une embauche. En revanche, je suis quelqu’un de très indépendant et de très assumé, je n’ai pas envie de suivre un chemin de vie qui ne me correspond pas. J’ai vécu dans cinq pays différents, mon mari aussi a surtout habité à l’étranger, et on veut garder cette liberté de mouvement. Notre décision de venir vivre à Bruxelles a été très rapide, on n’aurait probablement pas pu la prendre aussi vite avec des enfants. Je veux conserver cette spontanéité et cette possibilité d’être surprise dans ma vie. Et ce n’est pas parce que j’ai un utérus que ça change quelque chose.
Être childfree, c’est pareil pour un homme que pour une femme?
Je ne pense pas. J’en parle beaucoup avec mon mari, il me dit qu’il ressent une pression bien plus forte sur les femmes, que ce choix est moins compris, comme si les gens oubliaient qu’un enfant, ça se fait la plupart du temps à deux. J’ai d’ailleurs reçu moins de témoignages d’hommes, mais l’un d’entre eux m’a confié qu’à lui aussi, on disait qu’il était égoïste, immature et qu’il allait mourir seul.
C’est une réaction que tu entends souvent?
Oui, c’est celle qui revient le plus: on me dit que je suis égoïste, que si tout le monde pensait comme moi, l’espèce humaine disparaîtrait. On me dit aussi que je vais mourir seule, mais c’est le cas de beaucoup de gens qui ont des enfants malheureusement; la vie nous rattrape et on ne peut pas toujours être aux côtés de nos parents quand ils sont vieux. En ce qui me concerne, j’aurai des copains à la maison de retraite et on jouera au scrabble. Je ne pense pas que faire un enfant pour qu’il s’occupe de moi quand je serai vieille, ce soit une bonne raison pour me lancer… ça, c’est le comble de l’égoïsme!
Tes proches ont-ils bien réagi en lisant ce livre?
Mes parents, oui. Mais au début, je n’ai eu aucune réaction, ça a pris un peu de temps avant que j’aie les premiers retours. Aujourd’hui, je reçois des messages d’inconnus, notamment sur le compte Instagram que j’ai créé.
Je me rends compte en partageant mon point de vue que je ne suis pas seule à avoir ce genre d’idées, je trouve intéressant de faire entendre des avis divergents, c’est ça qui fait la richesse de la vie. Si on rentrait tous dans le moule, on s’ennuierait.
“On est 7 milliard d’êtres humains, ce qui signifie qu’il y a 7 milliards de chemins de vie possibles.”
Les childfree sont-ils visionnaires?
Je pense que oui, mais on commence à prendre conscience de toutes ces problématiques. Pour l’instant, les gens sont dans le déni et ont tendance à réagir violemment face aux personnes comme moi qui ne veulent pas d’enfant. J’ai l’impression de leur dire que ce qu’ils prenaient pour de la couleur rouge est en fait du bleu, ça les met en colère. Mais je sens qu’on va bientôt rentrer dans l’acceptation d’un autre modèle et qu’on va commencer à réaliser que ne pas avoir d’enfants, ce n’est pas si bête et c’est même logique.
Comment inventer de nouveaux modèles en France?
J’adore la France et les Français, mais pour avoir longtemps vécu ailleurs, je dirais que la peur du changement est la caractéristique principale de notre pays et que ça nous incite à nous replier sur le cocon familial. La stérilisation masculine, par exemple, c’est quelque chose de très normal dans les pays anglo-saxons. Plus on parle, plus on montre qu’il y a d’autres modèles: je m’en rends compte quand j’explique comment je suis devenue végétarienne puis vegan. Et puis, il ne faut pas oublier qu’on est sept milliards d’êtres humains, ce qui signifie qu’il y a sept milliards de chemins de vie possibles.
Quel message aimerais-tu faire passer avec ce livre?
J’aimerais encourager les gens à se poser des questions, pour moi c’est la clé. Quand tu te poses des questions, tu commences à te renseigner et tu te rends compte à quel point on est fait de constructions sociales. En ce moment, je lis L’Amour en plus d’Elisabeth Badinter et je découvre qu’au XVIIIème siècle, la notion d’instinct maternel n’existait pas. Quand je me suis intéressée au végétarisme, j’ai découvert que, contrairement à ce que j’avais toujours entendu, boire du lait ne rendait pas mes os plus solides. J’aimerais faire passer le message qu’il faut s’écouter soi et qu’on arrête de prendre pour des con·ne·s celles et ceux qui ne font pas comme tout le monde. J’espère que la tendance finira par s’inverser et qu’un jour, les con ·ne ·s seront celles et ceux qui font comme tout le monde.
Propos recueillis par Myriam Levain
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