Diffusé vendredi 31 mai à 22h25 sur Arte et déjà disponible sur le site de la chaîne, le documentaire Divas des 90’s célèbre l’apport des trois chanteuses dans la pop music.
Elles ont vendu des millions de disques et imposé leurs techniques vocales. Elles ont marqué les années 90 et l’histoire de la pop culture, au point d’avoir été rebaptisées aux Etats-Unis “the vocal trinity” (“la trinité vocale”). Mariah Carey, Céline Dion et Whitney Houston sont réunies dans le passionnant documentaire Divas des 90’s.
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Entre images d’archives et interviews d’expert·e·s ou d’artistes, le film montre comment ces trois femmes ont atteint un niveau de notoriété inédit, accédant à un statut quasi divin. Portées aux nues autant que pointées du doigt pour leurs excès, moquées et parfois déshumanisées, ces “divas” ont aussi été victimes du sexisme d’une industrie musicale gérée par les hommes et d’une société qui a tôt fait de les réduire à des stars capricieuses. Rencontre avec Sophie Peyrard, réalisatrice de ce 52 minutes qui remet les divas des années 90 à leur place, soit tout en haut du Panthéon de la musique pop.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de t’intéresser à ces trois femmes?
Pour les 40 ans de la mort de Maria Callas, je suis allée voir au cinéma le documentaire Maria by Callas de Tom Wolfe. En regardant cette grande diva populaire, très chic, qui est restée une icône, je me suis demandé qui étaient les divas de la pop pour ma génération. Au début, je me suis dit avec un peu d’ironie que notre Maria à nous, ce n’était pas Callas, mais Carey…
Et comment Céline Dion et Whitney Houston se sont imposées?
Je ne connaissais pas ce terme, mais aux Etats-Unis, on parle à leur sujet de “vocal trinity”. C’est un peu comme “king of pop” pour Michael Jackson ou “queen of soul” pour Aretha Franklin. Cette expression les englobe toutes les trois, car ce sont elles qui ont vendu le plus d’albums dans les années 90, tout en arrivant presque au même moment sur le devant de la scène. Elles ont été précurseuses d’une façon de chanter, et d’une façon de se présenter dans la pop.
Lesquelles?
Au départ, je me suis demandé si leur accoler le terme de “diva” n’était pas un peu galvaudé. Comme je n’ai aucune connaissance technique en matière de chant, je ne savais pas si elles avaient de réelles capacités vocales ou si tout cela n’était que du marketing. Mais, en interviewant une musicologue, j’ai découvert qu’elles ont bien des capacités vocales assez hors-normes, mais qu’elles ont aussi apporté dans la pop une technique vocale qu’on appelle le mélisme, et qu’on trouvait jusque-là dans les chants grégoriens ou le gospel. On ne s’en rend même plus compte, mais toutes les chanteuses d’aujourd’hui l’utilisent. Dans le langage courant, comme l’exprime Camélia Jordana dans le documentaire, c’est ce qu’on appelle généralement “faire des vibes”.
“Mariah Carey l’a dit, elle ne pouvait pas s’habiller comme elle le voulait.”
En quoi ces trois chanteuses étaient-elles des purs produits des années 90?
C’était la génération MTV, donc le moment où, en France, aux Etats-Unis et partout dans le monde, on les voyait en boucle dès qu’on allumait sa télé. Elles ont été marketées pour ça. C’est pour ça qu’elles sont aussi connues et que leur impact a été si grand. Et puis, elles ont coché toutes les cases de la jeune femme qui chante bien, qui présente bien.
Dans le documentaire, tu expliques qu’elles incarnaient une version très enfermante de la femme. Pourquoi?
Au milieu de ces années 90 très tumultueuses, où le hip hop et le grunge dominaient par ailleurs le monde de la musique, ces trois femmes en robe de soirée qui chantaient de la pop mielleuse étaient totalement inoffensives. Elles ne déviaient jamais du discours qu’on attendait d’elles. Elles avaient une image lisse, rien ne devait dépasser. C’était des “Miss France”, comme dit très bien Olivier Cachin dans le documentaire.
A quel point ont-elles été formatées par les hommes qui les accompagnaient, comme René Angélil pour Céline Dion ou Tommy Mottola pour Mariah Carey?
Mariah Carey l’a dit, elle ne pouvait pas s’habiller comme elle le voulait. Quand elle a divorcé, on a tout de suite vu un changement stylistique très fort. On est passé du col roulé au fameux short déchiré dont elle découpait les passants. Un grand statement fashion! (Rires.) Là, on a vu une nouvelle facette de Mariah Carey. Et pour Céline Dion, c’est peut-être maintenant que René n’est plus là que ça se joue. Elle vient d’ailleurs de lancer une ligne de vêtements gender fluid.
“Une femme qui a du pouvoir et des exigences, souvent légitimes d’ailleurs, c’est problématique.”
Ton documentaire développe la théorie d’une “charge émotionnelle” supportée par ces divas. De quoi s’agit-il?
Je conseille de lire le livre Let’s Talk About Love de Carl Wilson, que j’interviewe à ce sujet dans le film et qui est assez brillant. Il explique que ces divas assurent le “care”, comme le font les femmes dans la société. En faisant passer des émotions, elles nous permettent, d’une certaine manière, de les exprimer. Très peu de chanteurs hommes sont sur ce créneau un peu “tire-larmes”.
Tu abordes aussi l’idée que toutes les trois étaient des outsiders dans la société blanche américaine. Leur différence a-t-elle été importante dans leur parcours?
Oui, quand même. Whitney Houston, c’était la “black excellence” à l’américaine: si tu bouges d’un iota de l’image de petite fille sage tu es deux fois plus critiquée car tu es aussi censée représenter ta communauté. Mais, à l’instar de Prince ou de Michael Jackson, elle a assuré une transition, injecté des sons dans la pop qui étaient en lien avec son identité. Toutes ont su, de manière très différente et chacune à sa façon, créer des ponts entre les communautés. Même Céline Dion, en tant que Québécoise, porte en elle une différence. Le Québec, sur le continent nord-américain, c’est un OVNI. C’est le village des Gaulois. (Rires.) Ils ne parlent pas la même langue, ce sont des résistants quelque part. Pour les Américains, c’est exotique. Même nous en tant que Françaises, je pense qu’il y a beaucoup de réactions de Céline Dion qu’on ne comprend pas faute d’avoir les codes. Elle a un humour étrange, elle est un peu “goofy”… Et je pense aussi que ne pas être Américaine a pu être un atout pour elle dans certains pays profondément anti-américains.
Comment expliquer que le terme “diva” ait une connotation aussi péjorative de nos jours?
Je pense justement qu’aujourd’hui, c’est en train de changer. Beyoncé a expliqué dans une des ses chansons que la diva était la version féminine du gangster, et je crois qu’il y a un retournement du stigmate comme il y en a eu un pour le mot “bitch”. S’il a été aussi péjoratif par le passé, c’est parce que ce terme est synonyme de pouvoir, d’exigences, et qu’une femme qui a du pouvoir et des exigences, souvent légitimes d’ailleurs, c’est problématique.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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