Tout au long de Yoga, une histoire-monde, Marie Kock explore les origines complexes de cette pratique devenue incontournable partout dans le monde. De l’Inde à la Californie, elle montre comment le yoga a toujours su s’adapter pour survivre.
Quand on explique à Marie Kock l’émotion qu’on a ressenti en lisant son histoire du yoga, aussi personnelle qu’érudite, elle s’avoue soulagée. Cela lui importe que les personnes qui pratiquent la même discipline qu’elle puissent trouver la réponse à leurs questions sans rien gâcher de la sensation qu’elles éprouvent sur le tapis. Depuis que son essai Yoga, une histoire-monde est paru aux éditions La Découverte, elle espère ne pas s’attirer les foudres de yogis mécontents. Il faut dire que les questions de mondialisation, d’appropriation culturelle, d’obsession du corps “instagramable” et de marchandisation du yoga ne sont pas très populaires dans le milieu. Marie Kock a brisé un certain tabou, du moins un non-dit, en se penchant sur ces thématiques pourtant très actuelles. “J’ai commencé à me poser des questions en partant faire une retraite en Thaïlande, explique-t-elle. J’ai eu cette impression très paradoxale d’être dans un endroit très ‘fake’ mais entourée par des personnes très sincères. Nous n’étions que des occidentaux, avec des profs occidentaux… Je me suis sentie mal à l’aise, mais j’ai eu l’impression que mes questionnements n’étaient pas vraiment partagés.”
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“Le yoga a survécu, a su toucher le public et tout le monde y trouve quelque chose.”
La journaliste, en charge de la rubrique Société chez Stylist, a elle-même commencé le yoga dix ans auparavant. Depuis quatre ans, sa pratique est devenue plus sérieuse et elle a même passé une formation pour devenir professeure. “Ma formation de journaliste m’a poussée à me poser des questions, analyse-t-elle. Pourquoi chante-t-on les mantras en sanskrit? Quelle place tient la tradition dans la pratique actuelle? Je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup de littérature sur le yoga. Il existait des ouvrages anglo-saxons très universitaires, des biographies sur les maîtres ou des manuels sur les postures.” Marie Kock décide alors de répondre à ses propres questions en partant sur les terres du yoga, notamment à Rishikesh, en Inde et en Californie, où la pratique s’est exportée en premier lieu.“Je pensais que cela allait me dégoûter mais pas du tout, explique-t-elle. Le yoga a survécu, a su toucher le public et tout le monde y trouve quelque chose. Finalement, je trouve ça plutôt génial.” Des comptes Instagram obsédés par le corps aux gourous star en passant par la recherche de la spiritualité, Marie Kock questionne sans cesse sa vision de la pratique avec un respect infini. Elle trace les contours d’un art de vivre qui a su s’adapter et évoluer pour survivre.
Il n’existe pas vraiment d’histoire “critique” du yoga. Pourquoi, selon toi, ne questionne-t-on pas beaucoup les origines et l’évolution de cette pratique?
On ne questionne pas vraiment tout ce qui touche au bien-être. Eva Illouz a commencé à le faire avec l’essai Happycratie (éd. Premier Parallèle) mais cela n’est pas encore généralisé. Déjà parce que quand on est dans une démarche de “mieux-être”, on n’a pas forcément envie de questionner ce qui nous fait du bien. Ensuite, parce que le yoga fait partie des domaines qui sont encore méprisés par les intellectuels.
Dans ton essai tu réfléchis beaucoup au concept d’appropriation culturelle. Après avoir fait tout ce travail d’enquête, qu’en penses-tu?
En commençant cette enquête, j’avais l’idée d’un yoga dévoyé par l’occident. Cette intuition a complètement disparu à la fin. J’ai découvert qu’il y avait eu une vraie volonté de l’Inde d’exporter le yoga. On pratique aujourd’hui un yoga hybridé qui a été adapté pour nous et qui est mêlé d’influences de la gymnastique suédoise, du body building, de la culture physique… Ce n’est pas une sagesse millénaire que l’on a pillée. À un moment donné, le yoga était très peu pratiqué, il a failli disparaître. Les Indiens l’ont utilisé pour faire vivre leur culture. Ce qui me pose problème en revanche c’est d’aller en Inde et de pratiquer dans des endroits qui appartiennent à des occidentaux. Certaines personnes vont se former en Inde dans les centres tenus par l’entreprise américaine Yoga Alliance, qui récupère l’argent. Ils viennent faire leur apprentissage dans un pays où le PIB leur est favorable pour monter ensuite des centres branchés dans les capitales occidentales en jouant la “carte indienne”. Pour moi la quête d’un yoga “pur” et “authentique” peut avoir des relents colonialistes.
Qu’est-ce qui plaît tant aux millennials dans le yoga?
Notre époque veut qu’on prenne en charge notre propre bien-être. Avec le yoga, tu montres que tu veux t’améliorer. Nous vivons aussi dans une société où il faut toujours être dans l’acceptation, être calme, ne pas être en colère… Le yoga permet d’avoir mal, de pleurer, de ressentir les choses et de s’éprouver. Il y a aussi un certain retour du “new age”, de la spiritualité. Nos sociétés sont dures et insensées. Personnellement, j’aime avoir l’impression que la vie ne se résume pas à aller travailler, rendre mes papiers, tester un nouveau resto, mais qu’il y a une dimension supérieure que l’on n’a pas besoin de nommer. Ça peut paraître naïf mais ça m’a séduite!
Qu’est-ce qu’Instagram a changé à la pratique?
Instagram a apporté une sorte de compétition, c’est le Linkedin des profs de yoga! Le yoga est censé être une pratique où l’on ne s’inquiète pas de ce que les autres pensent de nous, et pourtant les réseaux sociaux mettent beaucoup de pression sur les profs et les pratiquants. On y voit par exemple beaucoup de postures spectaculaires, comme l’équilibre sur les mains. Si on ne sait pas la faire, ça met une vraie pression! L’aspect “lifestyle” est aussi particulièrement mis en avant. L’auteur Christopher Isherwood raconte que, dans les années 40, son gourou fumait comme un pompier, adorait le poulet rôti… Il n’y avait pas la rigueur d’aujourd’hui où il faut se nourrir uniquement de jus! (Rires.)
“Le yoga aide à se réapproprier son corps, à le voir et à l’accepter comme le réceptacle des événements passés et de son histoire personnelle.”
Il faut aussi montrer un corps parfait…
Il y a un petit mouvement body positive qui a été lancé par Jessamyn Stanley, mais le yoga fait tout de même peser des injonctions sur le corps. Il ne faut être ni trop gros ni trop maigre mais garder une forme de neutralité. La pression n’est jamais dite mais elle existe.
Aujourd’hui les cours de yoga sont surtout fréquentés par des femmes et pourtant presque tous les grands noms mentionnés dans ton essai sont des hommes. Les femmes sont-elles absentes de l’histoire du yoga?
Il y a eu quelques femmes, mais elles sont peu nombreuses. Le yoga pré-moderne est une pratique d’homme, la transmission se fait de gourou à disciple. Traditionnellement, il est pensé pour les garçons, il est assez guerrier et n’est pas tout à fait adapté aux femmes. D’ailleurs les équilibres sur les bras sont plus difficiles pour elles. Dans les années 20, des centres de santé s’ouvrent et ils commencent à accepter les femmes. Indra Devi a été la première femme à ouvrir un centre à Hollywood en 1947. La discipline est devenue plus féminine quand elle a été liée au bien-être et au fitness.
Tu parles aussi de quelques cas de harcèlement sexuel. Y a-t-il eu un #MeToo dans le milieu du yoga?
Il y a eu un petit #MeToo, qui a fait l’objet de quelques discussions dans des revues spécialisées outre-Atlantique. C’est une question très compliquée dans le milieu puisque c’est un endroit où on se fait ajuster, où il y a une proximité physique. Un peu comme chez le médecin. La révérence que certaines personnes peuvent avoir envers leur gourou n’aide pas. Les #MeToo sont particulièrement dévastateurs puisqu’en plus de l’agression physique, il y a une trahison spirituelle. Se réimpliquer ensuite dans son chemin de yoga est très difficile.
Dirais-tu que le yoga peut s’inscrire dans une démarche féministe?
Ce n’est pas le but premier de la pratique mais oui, je trouve que cela aide de réaliser que ton corps est puissant, qu’il peut faire des choses dont tu ne le pensais pas capable. Le yoga aide à se réapproprier son corps, à le voir et à l’accepter comme le réceptacle des événements passés et de son histoire personnelle. C’est un terrain d’exploration intéressant.
Propos recueillis par Pauline Le Gall
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