“Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.” Voilà le mantra de Mamie dans les orties, un podcast feel-good qui libère la voix des plus anonymes héroïnes: nos grands-mères.
“Il suffit d’écouter les femmes.” Ces mots de Simone Veil introduisent chaque épisode de Mamie dans les orties, le podcast “des mamies qui s’énoncent librement”, dixit ses instigatrices Héloïse Pierre et Marion de Bouärd. Les deux vingtenaires y conversent avec celles qui furent les premières à obtenir “le droit de voter, d’avoir un chéquier à leur nom, de divorcer, d’avorter”. Leur tendre l’oreille revient à plonger à la source de notre militantisme.
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“Des petites histoires pour faire entendre la grande”
Les cliquetis des tasses de thé résonnent. En plein enregistrement, la bavarde Françoise doit interrompre la conversation lorsqu’une vieille amie l’appelle au téléphone. Immersif, Mamie dans les orties nous rappelle nos après-midis écoulés chez nos grands-parents. Sans rétromania ni jeunisme, ce podcast fait la part belle aux anonymes septuagénaires -et plus. À l’origine, un voyage: en vacances au Vietnam, Marion De Bouärd s’étonne du culte que vouent les jeunes générations à leurs “ancien·ne·s”. Vénéré·e·s, il·elle·s sont “accompagné·e·s dans leur vieillesse, mais aussi après la mort”, raconte-t-elle. De retour en France, la globe-trotteuse se dit qu’il y a un lien à creuser entre notre rapport aux personnes âgées, minime dans l’Hexagone, et cette cause qu’elle défend aux côtés de son amie Héloïse Pierre: le féminisme. Toutes deux adulent d’ailleurs à l’unisson Les Couilles sur la table, le podcast inspirant de Victoire Tuaillon. Vieillesse, féminisme et création audio s’imposent dès lors comme la plus limpide des trinités.
“Leurs histoires individuelles permettent de mieux faire entendre la grande: l’évolution de la condition féminine.”
“Il y a tellement de choses dont on a hérité sans en prendre conscience!”, explique Marion De Bouärd, soucieuse de rappeler l’importance de celles qui ont participé à tout un siècle de luttes pour les droits des femmes. Ces “madame-tout-le-monde” pourraient être nos propres mémés. “Leurs histoires individuelles permettent de mieux faire entendre la grande: l’évolution de la condition féminine”, affirme Héloïse Pierre. Une évidence dès le premier épisode, où l’attachante Mado raconte sa vie de femme au foyer, interdite de travail, cantonnée aux ordres de son mari et aux quatre murs de sa maison. “On était soumises”, admet cette fière bretonne. Ce podcast est un peu l’espace de liberté qu’elle n’a jamais eu. Un droit à la parole pour lequel se battent encore toutes ces mamies trop souvent réduites à leurs radotages.
L’épisode 1 de Mamie dans les orties
Mamies et enfants
L’oreille que l’on prête aux grands-mères semble équivalente à celle que l’on accorde aux enfants: lointaine. Ce n’est pas anodin si, en parallèle de ce podcast “sans vocation commerciale”, Héloïse Pierre consacre son temps à The Moon Project, une gamme de jeux de société sensibilisant sa jeune audience aux enjeux de l’égalité femmes-hommes. Pour cette utopiste de 25 ans, éduquer nos enfants est aussi urgent qu’écouter ces femmes qui “ne sont pas toutes des dinosaures”, sourit-elle. Au coeur des deux projets, le même désir de transmission. Et des règles du jeu, aussi: exiger de ces mamies qu’elles rassemblent leurs souvenirs et quelques photos, réfléchissent à une trame afin d’éviter de s’embrouiller ou de paniquer en oubliant des détails. Deux heures d’enregistrement ne sont pas trop pour vingt minutes d’écoute. Au final, beaucoup de montage et un but, celui de “restituer la sincérité du discours”.
On frissonne lorsque l’une des narratrices se remémore son avortement clandestin, réalisé à coups d’aiguilles à tricoter.
Et il en faut peu pour que les jeunes auditrices se reconnaissent dans ces récits authentiques de flirts et de fêtes d’antan. Dialogue entre les époques, le podcast ravive sa vocation de médium de la sororité propice à “réconcilier les générations” dixit Héloïse Pierre. “Il offre un temps que d’habitude l’on ne prend pas, car cela demande de la patience et du courage d’écouter nos grands-mères”, ajoute l’entrepreneuse, pour qui “il y a des choses que l’on a pas forcément envie de connaître”. Cette zone de confort où la bienveillance est de mise n’exclut en effet pas la violence. On frissonne lorsque l’une des narratrices se remémore son avortement clandestin, réalisé à coups d’aiguilles à tricoter. Pas de “c’était mieux avant” qui tienne, donc. Juste un espoir: ce sera mieux, plus tard. “Même si, quand on entend Bolsonaro s’opposer au droit à l’IVG, on est en droit de se demander: mais que dirait sa mère?”, déplore Marion De Bouärd.
L’épisode 2 de Mamie dans les orties
Encore estomaquées par la disparition d’Agnès Varda, les deux animatrices rendent chaque mois hommage à des aïeules tout aussi fortes et fières. Des silhouettes inspirantes que l’on dépasse chaque jour au croisement d’une rue ou d’un métro sans jamais vraiment les observer. Appel à plus de considération et d’empathie, leur podcast démontre que la libération de la parole féminine concerne tous les âges et toutes les femmes. Mères et filles, mais aussi grands-mères et petites filles. Et qu’il est grand temps de sortir des orties ces pauvres mamies qui, contrairement aux papis peinards, y sont bien trop souvent poussées.
Clément Arbrun
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