Des doutes suscités par Greta Thunberg au slut-shaming dont a fait l’objet une jeune écoféministe pour avoir osé afficher le mot “clitoris” en manif, l’importance des jeunes filles engagées se comprend par les réactions qu’elles engendrent.
Qui veut la peau de Greta Thunberg? Bien que saluée par Leonardo Dicaprio et proposée pour le Prix Nobel de la Paix, l’activiste de 16 ans est loin de susciter l’adhésion. On la soupçonne d’être instrumentalisée par un businessman, manipulée par ses parents, d’assurer la promo du livre qu’ils ont écrit. Ce bashing n’a rien d’inédit. Inspirée par Greta Thunberg, Anuna de Wever, militante pro-climat de 17 ans, fait depuis février l’objet d’une campagne de cyberharcèlement: menaces de mort, messages haineux, accusations complotistes. Mais pourquoi cherche-t-on à faire taire ces teenagers?
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Paternalisme versus Patriarcat
Peut-être parce que leurs voix existent. De la Commune aux révoltes de mai 68 en passant par la résistance, le manifestant “se conjugue souvent au masculin” déplore Caroline Muller, maîtresse de conférence en histoire contemporaine. Pourtant, “les jeunes femmes ont toujours été là”, mais il a fallu attendre pour les voir “sortir de l’ombre”. Selon la chercheuse, comprendre cet oubli nécessite de rappeler que “le patriarcat se fonde sur la domination des enfants”. C’est-à-dire la “domination adulte”, cette construction sociale qui légitime “la violence au nom de l’éducation”. Une oppression qui nous balade de la Rome antique, “où le pater familias avait droit de vie et de mort sur ses enfants”, aux débats nationaux sur l’autorisation de la fessée par le Conseil constitutionnel en… 2017. Femmes et enfants ont longtemps partagé la même condition. Jugés irrationnels, interdits de vote, assignés à l’espace domestique et à l’autorité “d’un père qui a le droit de ‘corriger’ son épouse comme sa fille”, dixit la chercheuse.
“Si Greta était Greto, elle n’aurait pas été attaquée de la même manière.”
De physique, cette violence est devenue symbolique. “Des barrières ont été construites afin d’exclure les enfants d’une citoyenneté politique”, note la sociologue Julie Pagis. À l’écouter, “il y a toujours un soupçon lorsque les enfants parlent: on se dit que ce n’est que le discours des parents, qu’ils ne sont que des perroquets, de pauvres petits objets manipulés”. Greta Thunberg n’y échappe pas. Malgré ses 16 ans, elle reste “la petite pasionaria du climat”, selon Paris Match. “On insiste sur ses traits juvéniles et ses couettes pour insinuer qu’elle est ‘incapable’ et devrait plutôt jouer à la poupée”, analyse la sociologue de la jeunesse, professeure à l’université de Cergy-Pontoise Valérie Becquet, pour qui “il y a une ‘double peine’ quand s’entrecroisent âge -l’adulte ‘en devenir’- et genre -la femme en devenir. Si Greta était Greto, elle n’aurait pas été attaquée de la même manière”. Puisque leur voix est à la fois soumise au paternalisme et au patriarcat, les jeunes filles doivent redoubler d’efforts pour s’imposer au sein de l’espace public.
De Charles Consigny à la clitophobie
Greta Thunberg a d’ailleurs dû se fendre d’un texte. “Beaucoup de gens aiment répandre des rumeurs disant que je suis payée, ‘utilisée’ pour faire ce que je fais. Mais il n’y a personne derrière moi, sauf moi-même”, écrit-elle. Cette indépendance désarçonne. Ainsi lorsque Laurent Ruquier l’interroge sur Greta Thunberg, Charles Consigny répond: “Elle m’angoisse beaucoup.” Rien de tel que l’avis d’un homme de 30 ans pour saisir ce que suscite une jeune fille de 16. En témoigne la Marche du Siècle du 15 mars. Les ados y brandissent des pancartes aux slogans fleuris: “Vous gérez nos clitoris aussi mal que la planète”, “bouffe moi le clito, pas le climat”. L’une d’entre elles se voit massivement insultée sur Twitter. Parce qu’elle refuse d’être assujettie “à la finalité procréatrice” et aux pénis des mecs, elle éveille en eux “des angoisses existentielles”, théorise Caroline Muller. “C’est le pompon: non seulement ce sont de jeunes filles, mais en plus elles affirment ne pas avoir besoin des hommes!”, raille la chercheuse.
“Les enfants, très tôt, s’approprient les informations qui les touchent et élaborent leur propre opinion politique.”
En descendant dans la rue, la jeune militante provoque la panique morale. D’une part, parce que ce n’est “pas sa place”, d’autre part car ce n’est “pas de son âge”. Sur les réseaux, on l’accuse de scander un slogan vulgaire. Un twitto ironise: “Son père doit être tellement fier.” Dès qu’elle milite, l’ado passe immédiatement de “mauvaise élève” à “mauvaise fille”. Et use justement de la grève scolaire “pour s’opposer à une institution qui exige qu’elle soit comme ci ou comme ca”, détaille Valérie Becquet. Dans ce climat d’appel à la désobéissance civile où se conjuguent liberté d’expression et droit à disposer de son corps, il n’est pas si étonnant de voir Anuna de Wever revendiquer une identité gender fluid. Pour l’ethnologue de l’enfance Julie Delalande, les rapports de force s’inversent avec ces jeunes qui “en se réappropriant la parole deviennent des citoyens, et non plus seulement des ‘citoyens de demain’. C’est une évidente prise de pouvoir”.
The kids are allright
Le militantisme se décline au féminin, mais la lutte est longue. Elle commence dès le plus jeune âge. D’après Julie Pagis, “les enfants, très tôt, s’approprient les informations qui les touchent et élaborent leur propre opinion politique à partir de cela”. Au fond, chaque gamine est déjà une citoyenne en attente d’une chose: être légitime. Mais qui l’est le plus? “Il suffit de regarder les rangs de l’Assemblée nationale!”, cingle la sociologue, qui tient à nous le rappeler: “La politique est certes construite pour et par des adultes, mais aussi pour et par des hommes.”
Clément Arbrun
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