D’Angèle à Hayley Kiyoko en passant par Vendredi sur mer, de plus en plus d’artistes chantent aujourd’hui l’homosexualité féminine. Loin des clichés, elles œuvrent pour plus de diversité au sein d’une industrie musicale encore terriblement hétéro-normée.
“Elle ne m’aime plus, il est parti, comment la séduire… les chansons hétéros c’est toujours la même chose.” Amandine, 27 ans, est lesbienne, et n’en peut plus d’entendre ces titres où la fille tombe amoureuse d’un garçon. Guitariste à ses heures perdues, Amandine s’essaye timidement à la composition et aime mettre en scène des amours gays ou lesbiennes. “La musique, c’est comme le cinéma ou les séries, c’est un vecteur de visibilité alors c’est important d’avoir plusieurs modèles”, explique celle qui, pendant longtemps, dit n’avoir eu comme exemple de chansons d’amour lesbiennes qu’Une femme avec une femme de Mecano (1990) ou le quelque peu voyeuriste Canary Bay (1985) d’Indochine. Si dans les années 2000, le groupe Superbus et sa chanson Lola connaissent un joli succès, les chansons d’amour lesbiennes sont bien souvent des titres confidentiels qui relèvent plus de l’exercice de style que d’une volonté de diversité.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Plus de diversité
Mais le vent tourne. Aujourd’hui, les jeunes artistes n’hésitent plus à chanter l’homosexualité féminine. Outre-atlantique, Hayley Kiyoko, surnommée The Lesbian Jesus, caracole en tête des charts. Cette jeune chanteuse, issue de l’écurie Disney, souhaite normaliser les relations LGBTQ+ grâce à sa pop vitaminée, en témoignent ses titres Curious ou Girls Like Girls. Même son de cloche du côté de Janelle Monáe qui dans son hit Pynk, revendique haut et fort son amour des femmes. En France, de Ta Reine de la très populaire Angèle, aux sons plus pointus d’Alice et moi (C’est toi qu’elle préfère) ou Joanna (Séduction), de plus en plus de chansons contant le désir, le sexe ou l’amour entre femmes, arrivent dans nos oreilles. Pour Léa Lootgieter et Pauline Paris, co-autrices du livre Les Dessous lesbiens de la chanson, à paraître aux éditions iXe en novembre 2019, la légalisation du mariage homosexuel en 2013 contribue à expliquer cette ouverture de la chanson: “Cette loi a certes donné lieu à une libération de la parole homophobe, mais elle a aussi permis de ‘légitimer’ les amours lesbiens et gays. On peut regretter d’avoir besoin d’un cadre législatif pour ce faire, mais qu’on le veuille ou non les couples lesbiens sont entrés dans le paysage. Et peu à peu, cette avancée politique ressort dans la culture populaire.” Une visibilisation d’autant plus vraie aujourd’hui alors qu’est discuté l’élargissement de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes.
L’émergence de nouvelles orientations sexuelles et d’identités de genre (non-binaire, queer, pansexuelle…) a également permis de créer de nouveaux espaces pour parler de l’amour entre femmes. “C’est toi qu’elle préfère d’Alice et moi, La Femme à la peau bleue de Vendredi sur mer ou encore Ta Marinière d’Hoshi s’inscrivent dans ce courant: une chanson dans laquelle une femme s’adresse à une autre femme, exprime du désir pour elle, mais qui laisse la porte ouverte à d’autres interprétations, tant dans son texte, avec l’imaginaire associé comme les clips des deux dernières qui montrent des femmes, des hommes, des couples hétérosexuels qui s’embrassent, que dans le discours médiatique, expliquent Léa Lootgieter et Pauline Paris. Alice et moi dit également dans une interview pour Beware! à propos de sa chanson: ‘Ça peut être deux meufs qui sont ensemble, deux mecs ou peu importe.’”
Une industrie hétéro-normée
Autre raison de cette nouvelle visibilité, un accès à la musique simplifié par les réseaux sociaux et les services de streaming comme YouTube, Spotify ou Deezer. Une infinité de choix qui permet à toutes et tous d’aller plus loin que les hits diffusés sur les grandes radios ou les chaînes musicales. Pour Lauriane Nicol, créatrice du site Lesbien Raisonnable, cette multiplicité des options permet à chacun·e de trouver les artistes qui lui correspondent. “C’est pour ça que Hayley Kiyoko est très populaire, même en France. Avant, il y avait aussi des chanteuses américaines qui se revendiquaient lesbiennes, comme Melissa Etheridge ou les Indigo Girls, ou la musicienne JD Samson du groupe Le Tigre, mais il était plus difficile de les ‘trouver’, elles étaient moins populaires chez nous. Avec Instagram et Spotify, les choses sont facilitées, explique-t-elle. Et c’est tant mieux, puisque la musique permet de se construire, que ce soit par les paroles ou par ce que la chanteuse ou le chanteur représente. Il est fondamental d’entendre nos histoires racontées et chantées, comme celles des hétéros!”
Malheureusement, ce droit fondamental est encore trop souvent bafoué par une industrie de la musique toujours très hétéro-normée. Pensée par et pour les hommes, elle marginalise tout un pan de la population, dont les lesbiennes. “Elles subissent la double peine d’être femmes et homosexuelles. Quand une artiste écrit ou interprète une chanson d’amour lesbienne, elle raconte une histoire dans laquelle ‘l’homme’ est absent et risque donc de s’attirer l’hostilité de son label, manager, etc, affirment Léa Lootgieter et Pauline Paris. Ce fut le cas notamment d’Hayley Kiyoko, à qui il a été demandé de “mettre sa sexualité en sourdine pour percer dans la musique”, comme l’artiste le révélait au magazine i-D en janvier dernier. “La musique est perçue comme un médium universel qui doit permettre aux gens de toutes les classes sociales, genres, origines ethniques, etc., de communier. Il s’agit évidemment d’un mythe, puisque la pop mainstream est essentiellement blanche, hétérosexuelle, de classe aisée, et ne parle que des questions qui intéressent ce groupe”, détaillent Léa Lootgieter et Pauline Paris, tout en soulignant que les hétérosexuels, eux, ne sont pas soumis à ce devoir d’universalité lorsqu’ils composent.
Le lesbianisme, un argument marketing
L’un des rares cas où les hétérosexuel·le·s semblent disposer à intégrer des thématiques lesbiennes dans leurs chansons ou clips, c’est si cela fait vendre. Reprenant les fantasmes sexistes sur les lesbiennes véhiculés à l’envi par l’industrie pornographique, certain·e·s artistes se servent du lesbianisme comme d’une vitrine sulfureuse et provocante. On se souvient par exemple de la chanson Te Amo, de Rihanna, dont le clip mettait en scène une liaison sulfureuse entre la chanteuse et la mannequin Laetitia Casta ou encore I Kissed a Girl de Katy Perry qui lança sa carrière en 2008. “En soi, ça ne me dérange pas vraiment que Katy Perry chante qu’elle a embrassé une fille en soirée, déclare Lauriane Nicol, ce qui posait problème à l’époque, je pense, c’est qu’aucune ‘vraie’ lesbienne n’était là pour chanter un vrai bisou lesbien. En tous cas pas aussi haut dans les charts. Ça a été pris non seulement comme du queerbaiting, mais surtout comme une soumission au male gaze. En plus, elle rappelle dans le refrain qu’elle a un copain, que ce bisou ne signifie donc rien.”
“Montrer un désir ou un amour lesbien, même dans une démarche marketing reste une prise de risque dans une société où la lesbophobie est encore présente.”
Une énième manière de capitaliser sur le dos des lesbiennes qui enrage Aurélie, 24 ans. “C’est comme quand Madonna, Britney Spears et Christina Aguilera se sont galochées aux VMA en 2003, ou le dernier clip d’Ariana Grande, peste-t-elle, ça veut dire ‘regardez comme on est sexys, comme on vous aguiche, comme on est provocantes.’ Sauf qu’après, ça reprend son rôle de gentille hétéro alors que nous, les vraies lesbiennes, sommes toujours discriminées et stigmatisées.” Dans la même veine, on se souvient du groupe t.A.T.u., deux jeunes chanteuses russes qui, si elles chantaient des paroles dénonçant l’homophobie dans leur tube All The Things She Said, jouaient sur une esthétique reprenant les fantasmes hétérosexuels masculins: jupes plissées, chemises d’écolière et baisers sous la pluie.
Mais pour Léa Lootgieter et Pauline Paris, tout n’est pas à jeter dans ces purs produits de l’industrie: “Montrer un désir ou un amour lesbien, même dans une démarche marketing reste une prise de risque dans une société où la lesbophobie est encore présente, estiment-elles. Ce sont des représentations avec lesquelles on peut se construire et c’est toujours mieux que de ne pas en avoir du tout. En 2002, il n’y avait pratiquement aucun modèle lesbien dans la pop et la chanson de t.A.T.u. a eu un effet bénéfique pour les jeunes LGBT.” Lena Katina, l’une des membres du groupe, est aujourd’hui une figure de la lutte contre l’homophobie en Russie. Son ancienne partenaire, Julia Volkova, a confirmé sa bisexualité en 2013, peu de temps avant de s’illustrer par des propos homophobes et sexistes. “Je tiens à dire que je n’ai rien contre les gays, je souhaite juste que mon fils soit un vrai homme, pas un pédé. (sic) J’ai beaucoup d’amis gays. Je crois qu’être gay est quand même moins grave qu’être un assassin, un voleur ou un dealer de drogue. S’il faut choisir parmi tout ça, alors être gay vaut un peu mieux que tout le reste”, déclarait-elle en 2014 sur le plateau d’une chaîne de télévision russe.
Un sursaut encore timide
Loin de ces sorties nauséabondes, des artistes comme Beatrice Eli (Girls), King Princess (Pussy Is God) ou L Devine (Daughter) n’hésitent pas à aborder de manière très frontale le sexe lesbien ou le coming out. En France, en revanche, les artistes demeurent plus timoré·e·s. “Ici, les chansons, comme Ta Reine d’Angèle restent assez sages, évoquant davantage les premiers émois, qu’un amour lesbien installé, une rupture après des années de vie commune ou une référence à la communauté lesbienne”, commentent Léa Lootgieter et Pauline Paris pour qui Chris est la seule à entrer dans le détail et à nommer les identités lesbiennes, comme dans son titre Follarse: “J’ai goûté / Sur une butch de L.A / L’espoir défait, défait, défait.” “Pour le moment, nous n’avons pas d’équivalent mainstream féminin à Eddy de Pretto, une chanteuse lesbienne qui oserait chanter le désir et l’amour pour une autre femme avec des mots clairs et crus”, ajoutent-elles.
“Plus les radios diffuseront de chansons lesbiennes et plus les télés montreront des clips où deux femmes s’embrassent, plus le grand public acceptera que l’homosexualité féminine n’est ni une tare ni un objet de fantasme pour hétéros en mal d’excitation.”
Aurélie, elle, garde l’espoir de voir la scène musicale se diversifier au fil des années à mesure que de plus en plus de chanteuses assument leur homosexualité ou leur orientation non hétéro-normative, comme St Vincent qui cartonne aux États-Unis, aujourd’hui autant critiquée qu’acclamée pour son récent duo très sulfureux avec Dua Lipa, ou GIA. “Plus les radios diffuseront de chansons lesbiennes et plus les télés montreront des clips où deux femmes s’embrassent, plus le grand public acceptera que l’homosexualité féminine n’est ni une tare ni un objet de fantasme pour hétéros en mal d’excitation, affirme-t-elle. J’ai hâte de voir le jour où les enfants apprendront des chansons d’amour lesbiennes à l’école, au même titre que La Vie en rose ou Je l’aime à mourir.”
Audrey Renault
{"type":"Banniere-Basse"}