Dans ce magnifique et émouvant documentaire intitulé #Female Pleasure, la réalisatrice suisse Barbara Miller filme cinq femmes dans cinq pays. Elles ne parlent pas la même langue, ne partagent pas la même culture et pourtant, elles ont un point commun: celui de lutter sans relâche contre l’oppression sexuelle des femmes.
Elles s’appellent Leyla Hussein, Vithika Yadav, Deborah Feldman, Rokudenashiko et Doris Wagner. Elles ont grandi aux États-Unis, en Somalie, au Japon, en Allemagne et en Inde. Elles sont musulmanes, catholiques, juives, boudhistes et hindouistes. À première vue, ces cinq femmes n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre. Et pourtant, derrière la caméra bienveillante de la réalisatrice suisse Barbara Miller, leur point commun surgit comme une évidence: elles sont femmes et en raison de leur sexe, elles ont été excisées, mariées de force, emprisonnées, violées et harcelées. C’est leur combat qui est présenté dans ce documentaire intitulé #Female Pleasure, en salles le 1er mai, un film puissant et émouvant sur une lutte universelle, celle contre les violences faites aux femmes et pour des sexualités féminines libres et auto-déterminées. La réalisatrice de 49 ans a vécu près de Zurich, a étudié le droit, la philosophie, la psychologie et les sciences du cinéma. Elle dit: “Pour moi, la justice a toujours été la chose la plus importante, mais j’ai senti que, plutôt que d’être avocate, faire des films serait une bonne manière pour moi de lutter pour elle.” Interview.
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Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce documentaire?
En travaillant comme réalisatrice dans le monde entier, je me suis souvent demandé comment les femmes, au XXIème siècle, se sentaient vraiment et pourquoi c’était encore tabou de parler de leurs relations les plus intimes: avec elles-mêmes en tant que femmes, et aussi avec leur corps et leur sexualité. Pour la plupart d’entre elles, la sexualité est encore une obligation et non un choix ou un plaisir. C’est désastreux! En cherchant les raisons et les racines de ces discriminations à l’encontre des femmes et de leur sexualité, j’ai découvert que les cinq grandes religions -ou les cultures qui leur sont associées car les frontières sont floues de nos jours- diabolisent le corps féminin. Les femmes et leur corps sont blâmés et considérés comme impurs, honteux, indignes et jugés responsables de tous les maux du monde. Ces deux constatations ont été le point de départ de #Female Pleasure.
Le teaser de #Female Pleasure
Pourquoi avoir choisi ce nom, #Female Pleasure?
En mettant ce hashtag avant le mot “female”, j’ai voulu mettre en avant la lutte et le droit des femmes à un sexualité auto-déterminée et satisfaisante. J’aimerais qu’il soit à l’origine d’un véritable mouvement. C’est en tout cas le souhait des protagonistes du film, qui sont toutes très actives sur les réseaux sociaux. #Female Pleasure est un titre positif, car il encourage les gens à se dépasser, à parler du film et du tabou autour du plaisir féminin. Ce dernier est diabolisé par les religions et la société en général: il s’agirait du plus grand péché. Nous voulons changer ça une bonne fois pour toutes!
“En réalisant ce documentaire, j’ai été choquée de constater que, partout dans le monde, sur la base des textes sacrés des religions et du patriarcat, on diabolise le corps féminin et sa sexualité.”
Comment avez-vous choisi les femmes que l’on voit dans le documentaire?
J’ai voulu trouver des femmes qui avaient évolué dans chacune des cinq grandes religions. J’étais à la recherche de femmes courageuses qui osent briser le silence et parler de sexe. C’était important pour moi que ces dernières aient déjà entamé une démarche publique, afin qu’elles soient conscientes du danger et des réactions que peuvent engendrer leurs actions. J’ai tout fait pour les rencontrer personnellement dans leurs villes d’origine -New York, Tokyo ou New Delhi- et j’ai immédiatement réalisé qu’elles partageaient, en tant que femmes, les mêmes expériences, à la fois intimes et universelles. Après notre première rencontre, elles ont toutes accepté de faire partie du documentaire.
Leyla Hussein, DR
Ces héroïnes viennent du monde entier, et pourtant elles racontent toutes la même histoire, celle du patriarcat…
Exactement! Leyla Hussein, qui se bat contre les mutilations génitales féminines dit: “Ils pratiquent le patriarcat, c’est une religion universelle.” En réalisant ce documentaire, j’ai été choquée de constater que, partout dans le monde, sur la base des textes sacrés des religions et du patriarcat, on diabolise le corps féminin et sa sexualité. Ça m’a vraiment ouvert les yeux! J’ai eu du mal à croire que les femmes subissaient partout les mêmes discriminations, tout ça à cause de leur corps, ce même corps qui porte en lui la capacité de donner la vie.
Quel est l’enjeu principal de la sexualité féminine aujourd’hui?
Dans le monde entier, nous, les femmes luttons encore contre ces idées anciennes selon lesquelles nos corps, nos sexualités ne sont pas importantes, que notre but ultime est de plaire aux hommes, que nous n’avons pas le droit au plaisir. Nous vivons au XXIème siècle et pourtant, ces stéréotypes sont toujours véhiculés. Y compris dans nos sociétés modernes. Il est indispensable que l’égalité des sexes et les droits fondamentaux des femmes soient enfin respectés! Il est inacceptable qu’aujourd’hui encore, des millions de filles soient excisées -ça arrive toutes les 11 secondes dans le monde-, et ainsi privées d’une vie sexuelle satisfaisante. Ou que d’autres soient victimes de mariages forcés -un toutes les deux secondes dans le monde- et obligées d’avoir des relations sexuelles contre leur volonté, c’est-à-dire violées en toute impunité. Dans le documentaire, Leyla Hussein parle de pédophilie légalisée, c’est exactement ça. Les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités et entamer des actions en justice pour faire en sorte que le monde devienne un espace sûr pour les femmes.
“Être féministe et lutter pour l’égalité des droits, c’est ce que chaque femme et chaque homme devrait faire sur cette planète.”
La pornographie disponible sur Internet influence la façon dont les jeunes hommes voient le sexe et c’est extrêmement dommageable pour eux, mais aussi pour la sexualité et le plaisir féminins. Les femmes sont montrées comme des objets qui ne disent jamais non, qui font ce que les hommes désirent, peu importe si cela leur déplaît ou leur fait mal. C’est du sexe violent et humiliant pour les femmes. On ne voit pas de caresses, de baisers, et encore moins de clitoris. L’orgasme féminin n’a aucune importance. Seul le plaisir masculin compte.
Vithika Yadav, DR
Votre film est féministe, en quoi était-ce important pour vous?
Si le féminisme se définit par l’égalité, l’autodétermination féminine, la lutte contre le sexisme et l’inclusion de chacun dans cette dernière, alors oui mon film est sans doute féministe. Depuis la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges en 1791, les femmes se battent pour être considérées comme des êtres humains égaux et luttent pour que les droits des femmes soient considérés comme des droits humains. Ce qu’elles ne devraient pas avoir à faire. Je suis contente de voir de plus en plus d’hommes rejoindre le combat. Et de les entendre dire, comme Barack Obama ou Justin Trudeau, “Je suis féministe”. C’est un pas supplémentaire dans la bonne direction. Être féministe et lutter pour l’égalité des droits, c’est ce que chaque femme et chaque homme devrait faire sur cette planète.
“Les femmes du monde entier doivent réaliser que leurs corps sont fantastiques, qu’ils ont de la valeur et sont beaux comme ils sont.”
Qu’est-ce que les femmes doivent encore faire pour s’approprier leur propre sexualité?
Les femmes du monde entier doivent réaliser que leurs corps sont fantastiques, qu’ils ont de la valeur et sont beaux comme ils sont. Toutes les choses qu’on nous a fait croire, à travers les religions, la société, la publicité ou l’industrie de la beauté, sont simplement la traduction d’une peur des hommes et de la persistance des idées patriarcales. Quand Leyla Hussein parle de la simulation, que la plupart des femmes ont expérimenté, pour moi, c’est une conséquence directe de ces idées dévalorisantes pour les femmes et leur corps. Elles portent encore ces carcans en elles, et souvent, les hommes pensent comme ça aussi: “vous devez être plus belle, plus parfaites, plus gentilles, plus aimables, vous tenir à disposition, pour être acceptées et reconnues!” L’essor de l’industrie de la beauté le montre d’ailleurs très bien. Par conséquent, les femmes n’osent pas dire pendant qu’elles font l’amour ce qu’elles veulent vraiment, ce qu’elles aiment, quels sont leurs besoins. Elles préfèrent prétendre que tout est parfait et ne pas dire qu’elles aimeraient faire l’amour différemment ou bien qu’elles font partie des 70% des femmes qui n’atteignent jamais l’orgasme avec la pénétration, mais y arrivent avec la stimulation du clitoris. J’espère vraiment que toutes les femmes oseront parler, explorer leur propre corps, le trouver beau et précieux et revendiqueront leur droit au plaisir!
Propos recueillis par Julia Tissier
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