Après une adolescence sous les projecteurs, Natasha Lyonne a galéré. Problèmes de drogue, personnalité atypique: pendant 20 ans, elle a été cantonnée aux pages people et aux rôles secondaires. Avec Poupée russe, elle prouve son talent et signe son grand retour.
Tignasse rousse, voix rauque, accent new-yorkais, attitude virile et sex-appeal, Natasha Lyonne est instantanément reconnaissable. Elle fait partie de ces acteurs et actrices à forte personnalité qui enchaînent les rôles secondaires. Celles dont on dit “mais si, tu sais, la nana qui a joué dans ce film, là”, celles dont on ne se rappelle que rarement les noms, celles qui n’ont jamais les grands rôles. À part dans la communauté lesbienne qui lui voue un culte, Natasha Lyonne est surtout connue par le nom de ses personnages: c’est Jessica dans American Pie, c’est Nicky dans Orange is the New Black. Mais voilà, en ce début d’année, Natasha Lyonne a réussi à briser cette malédiction. Elle a profité des portes qui s’ouvrent enfin aux femmes dans le monde des séries et films pour écrire et jouer le rôle qu’elle méritait. Dans Poupée russe, diffusée sur Netflix, elle joue Nadia, une New-yorkaise juive androgyne avec un penchant pour la drogue et l’auto-sabotage, qui est vouée à revivre éternellement le jour de sa mort. Nadia parle comme un chauffeur de taxi des années 70, enchaîne les mots d’humour désabusés, réfléchit à toute vitesse, séduit, couche sans scrupule et gère ses traumatismes. Un rôle de composition.
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Natasha ou Nadia?
Comme son personnage, Natasha Lyonne est née à New-York dans une famille juive. Contrairement à Nadia, son traumatisme ne vient pas des troubles mentaux de sa mère, mais de l’envie de ses parents d’en faire une star. Elle commence sa carrière à l’âge de 6 ans dans le show pour enfants Pee-wee’s Playhouse puis enchaîne les émissions et les films. Elle dira plus tard que ses parents étaient absents, qu’ils n’ont pas été là pour elle. à 16 ans, elle se fait virer de sa yeshiva, une école juive, pour avoir vendu de la drogue. Elle abandonne alors ses études, mais pas la drogue, qu’elle consommera de plus en plus à mesure que décolle sa carrière. La même année, elle obtient un rôle dans le film Everyone Says I Love You de Woody Allen, avant d’obtenir celui de la libérée Jessica dans American Pie et de la fausse hétéro Megan dans But I’m a Cheerleader (qui fera d’elle une icône lesbienne). L’ado bizarre, de son propre aveu, aux réflexions philosophiques, devient la star qu’on promet à une grande carrière. C’est la Lindsay Lohan de la fin des années 90. Dès 2001, la presse people commence à se régaler de ses excès: conduite en état d’ivresse, harcèlement d’une voisine (et de son chien) et autre effraction. En 2005, elle est hospitalisée, son corps ne suit plus son addiction. En 2006, elle part en cure de désintoxication par ordre du juge. “J’étais réellement comme morte, vous voyez? Beaucoup de gens ne reviennent pas”, expliquait-elle en 2012 à Entertainment Weekly. Mais, comme Nadia, Natasha est aimée et c’est ce qui la sauve. En 2007, son amie Chloë Sevigny réussit à convaincre Mike Leigh de l’embaucher dans sa pièce de théâtre Two Thousand Years. Dès lors, elle remonte la pente. Elle joue de plus en plus de rôles, de moins en moins secondaires, dans des films et séries de moins en moins intimistes.
© Netflix
Finis les rôles secondaires
En 2012, elle rejoint le casting du phénomène Netflix Orange Is the New Black. Elle y joue Nicky, une addict juive new-yorkaise, une femme brillante et sarcastique, à la libido assumée, qui se joue des genres. Troublant de ressemblance! L’énergie de Natasha Lyonne, la finesse de son jeu, l’émotion qu’elle transmet est telle que son personnage devient l’un des favoris des fans. Elle passe de six épisodes prévus à six saisons. Le come-back est en place mais Natasha Lyonne n’a toujours pas de grands rôles. Elle se désole qu’on lui propose toujours les mêmes personnages secondaires, intéressants mais pas suffisamment creusés, affinés selon elle. Elle décide alors d’écrire un rôle à la hauteur de son talent. “Je me suis dit, ‘puisqu’on me demande tout le temps de jouer Joe Pesci, autant que j’écrive et que je joue ma propre version’”, explique-t-elle dans une interview accordée à Rolling Stone. “Dans le fond, je suis plutôt excitée par les rôles que j’ai la chance de jouer. Je ne sais juste pas s’ils vont jusqu’au bout, s’ils creusent comment une personne en arrive à parler, agir et penser ainsi”, continue-t-elle. Elle crée donc ce personnage de Nadia au plus proche de son identité et écrit une histoire quasi-autobiographique. Grâce à la longueur du format série, elle peut plonger les spectateurs et spectatrices dans les nuances de la personnalité de Nadia, les origines de ses traumatismes et la complexité de son parcours pour se débarrasser de ses démons. Entourée d’une writers’room entièrement féminine et de ses amies Amy Poehler et Leslye Headland à la production, elle crée un monde qui lui ressemble: un monde fait de remarques acerbes, de fêtes, de personnalités queers, d’amitié et d’entraide. La voilà enfin applaudie par les critiques et le grand public, là où Hollywood l’imaginait quand elle était adolescente. Le chemin aura été un peu plus long que prévu mais Natasha Lyonne, est désormais plus forte que jamais, en total contrôle de sa carrière.
Aline Mayard
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