On la surnomme “la reine du crime”, on l’imagine vieille dame anglaise polie, gentille ménagère gourmande, jardinière réservée. Agatha Christie était à la fois tout ça et bien plus. C’était une aventurière, une pionnière et une féministe.
On sait peu de choses de l’autrice la plus traduite au monde. Méfiante des médias, elle passa sa vie à protéger sa vie privée. Parce qu’elle se confiait peu, parce qu’elle n’était pas à l’aise à l’oral, parce qu’elle n’était pas une intellectuelle, parce qu’elle était rondelette, le public et les universitaires ont cru qu’elle menait une vie morne et qu’elle n’était pas digne d’intérêt. Mais Agatha Christie est au moins aussi étonnante, pionnière et complexe que ses romans. Il est de plus en plus évident que cette femme qui s’opposait dans ses propos au féminisme menait en réalité une vie terriblement libérée et a offert au monde une œuvre qui dessinait les femmes comme les égales des hommes.
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Une femme libre
Née dans une famille conservatrice et conventionnelle en 1890, Agatha Miller, comme elle s’appelait alors, est une jeune fille de son époque. L’âge venu, elle se met à la recherche d’un mari. Elle se vante d’avoir reçu neuf demandes en fiançailles et d’avoir été fiancée deux fois! Elle finit par épouser le colonel Archibald Christie. Quoi de plus normal? C’est alors que sa vie s’éloigne véritablement de celles des jeunes femmes victoriennes qui l’entourent. Lors de la Première Guerre mondiale, elle s’engage comme infirmière bénévole avant de devenir assistante-chimiste dans un hôpital militaire. Elle obtient son diplôme de pharmacienne et acquiert une connaissance des poisons qui lui sera bien utile pour ses futurs romans. Pendant son temps libre, elle écrit son premier roman policier. Rapidement, elle devient une autrice qui vend et prend un agent pour être payée à la hauteur de ce qu’elle mérite. Elle divorce de son mari adultère. Peu de temps après, elle rencontre un homme de quinze ans son cadet, l’archéologue Sir Max Mallowan. Qu’importe le qu’en-dira-t-on, elle l’épouse. Quand arrive la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage à nouveau dans une pharmacie d’hôpital. La paix revenue, elle se remet à écrire un roman par an et des pièces de théâtre à succès. Elle écrira jusqu’à la fin, en 1976. Elle est toujours à ce jour la romancière la plus vendue de tous les temps, juste derrière Shakespeare.
Aventurière et passionnée
Toute sa vie, Agatha Christie aura représenté le style de vie britannique, pourtant l’Anglaise adore quitter son île. Avec son premier époux Archie, elle se lance en 1922 dans un tour du monde de dix mois. En Afrique du Sud, elle découvre le surf. A Honolulu, où les femmes sont rares sur les planches, Agatha Christie réussit enfin à se tenir debout et passe ses journées à surfer… et se prélasser sur la plage. Le couple fait ainsi partie des premier·e·s Britanniques à s’être essayés à ce sport encore plus exigeant à l’époque qu’aujourd’hui. Après son divorce d’Archie, Agatha Christie reprend les bonnes habitudes et se rend au Moyen-Orient pour une croisière. C’est là, lors d’une visite d’un site archéologique, qu’elle rencontre l’archéologue Max Mallowan. De retour en Angleterre, elle et il se rapprochent et se marient. Après leur voyage de noces en Europe, Max doit retourner à ses fouilles. Agatha Christie veut le suivre, on lui interdit. Ce sera la dernière fois. Elle accompagna par la suite son mari dans toutes ses campagnes de fouilles au Moyen-Orient. L’archéologie devient sa passion. Elle qui aime faire, qui aime être utile, se met à participer activement aux fouilles. Elle nettoie et restaure les pièces découvertes, en réalise l’inventaire, les dessine et/ou les prend en photo. Elle s’occupe du ravitaillement du camp et est considérée comme à l’origine de l’atmosphère de sérénité et de convivialité propre aux campagnes des Mallowan.
Des récits féministes
Qu’elle soit en pleine fouille archéologique ou dans sa grande demeure anglaise, Agatha Christie continue d’écrire. Dans ses romans, elle écrit des personnages féminins à son image: des femmes intelligentes, complexes et qui mènent leur vie comme bon leur semblent. Grâce à elle, les femmes dans les romans policiers ne sont plus décoratives ou simples victimes, elles mènent l’enquête. Parfois, elles tuent. Dans son ouvrage Agatha Christie: The Woman and Her Mysteries, la chercheuse Gillian Gill note que les hommes sont aussi fréquemment des victimes que les femmes, et les femmes aussi fréquemment des meurtrières que les hommes. Pas très réaliste, mais rafraîchissant. Loin du cliché de femmes fatales, les tueuses et détectives d’Agatha Christie sont tout à fait ordinaires, à l’image de Miss Marple, la “vieille fille” la plus connue du monde. Leur force vient de leur condition de femmes, de leur connaissance de la sphère domestique et des relations, de leur intuition mais aussi de la façon dont les hommes les ignorent. Elle estime d’ailleurs qu’Hercule Poirot n’aurait jamais accepté de résoudre un mystère avec Miss Marple car “Poirot, un égoïste de première, n’aimerait pas qu’on lui apprenne son métier ou qu’une vieille dame lui fasse des suggestions”. Fatiguée de ce “sale type narcissique”, comme elle le décrit dans les années 60, elle finit par mettre en scène sa mort dans son avant-dernier roman. Quoi qu’elle en dise, Agatha Chrisie était définitivement une féministe.
Aline Mayard
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