Je dois l’avouer, quand Titanic est sorti, je suis allée le voir deux fois en un week-end au cinéma. Pas seulement parce que c’est un bon film mais surtout pour Leo Di Caprio, alias Jack Dawson. Qu’est-ce que c’était frustrant de le voir mourir à la fin sur cette porte assez large pour deux! Quelle colère éprouvait-on avec ma meilleure amie que Jack se sacrifie pour sauver Rose! Nous, on l’aurait sauvé, disions-nous!
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Aujourd’hui, je le pense encore mais pour une tout autre raison: Jack aurait pu survivre, pas parce qu’il est beau, mais parce que ce n’est pas le rôle des hommes de protéger les femmes. De les sauver.
Même s’il est le héros de mon adolescence, je m’aperçois maintenant que Jack, aussi sympathique soit-il, incarne une masculinité idéalisée et prompte au mansplaining, qu’il est nécessaire d’interroger si on veut déconstruire les stéréotypes et binarités de genre et repenser les relations amoureuses.
Female gaze?
Cela fait plus de vingt ans que Titanic est sorti mais ce film n’a pas cessé de faire parler de lui. Iris Brey, autrice de Le regard féminin: une révolution à l’écran, l’a remis sur le devant de la scène en le citant parmi une liste de films mettant en scène un regard féminin (ou female gaze, par opposition au male gaze théorisé par Laura Mulvey). Comme l’explique la critique de cinéma, pour une fois, c’est une femme qui raconte l’histoire, une femme âgée d’ailleurs qui continue de désirer. Et puis, une jeune femme de 17 ans élevée dans un milieu ultra-conservateur qui demande à un homme de faire son portrait toute nue, c’est quand même sacrément badass.
Pourtant, malgré la narration féminine de ce film et des scènes rafraîchissantes (le rapport sexuel, parmi d’autres), j’y ressens, personnellement le poids du regard masculin auquel on nous a depuis longtemps habitué·e·s. Prenons le fameux portrait. C’est vrai que celui-ci est voulu par Rose qui devient ainsi maîtresse de son propre désir. Toutefois, quand je revois la scène, j’ai une impression de déjà-vu qui n’a rien à voir avec le fait que c’est la dixième fois que je visionne le film. Devant nous, c’est encore et toujours une femme nue, regardée et célébrée par un homme artiste et habillé, renforçant donc l’idée que ce qui est excitant pour une femme, c’est d’être regardée et désirée par un homme, et qui plus est un artiste. Pourquoi pas, me direz-vous, si c’est le désir de Rose, et je suis bien d’accord mais, pour une fois, cela aurait été intéressant de filmer le désir et le regard d’une femme sur le corps d’un homme, ou d’une femme, et pas seulement sur ses yeux et mains d’artiste. Or le corps érotisé de Jack reste le grand absent du film.
“Il est plutôt gentil et son regard est souvent positif mais il sert néanmoins un schéma de contrôle.”
La première rencontre confirme cette idée. On nous montre en effet comment Jack voit Rose, comment il la fixe longuement. Si Rose s’aperçoit de son regard, il n’est pas question d’exposer ce qu’elle voit, elle. C’est toujours Jack qui la regarde et qui la comprend – I see you (“Je te vois”), lui dit-il d’ailleurs. Il se trouve qu’il est plutôt gentil et que son regard est souvent positif mais il sert néanmoins un schéma de contrôle quand, par exemple, il déclare à Rose qu’elle est une “spoiled little brat” (“une enfant gâtée”) mais que, grand seigneur, il l’aime malgré tout -rappelons quand même qu’elle a tenté de se suicider quelques jours plus tôt pour échapper à un mariage forcé avec un homme qui s’apprête à la violer toute sa vie; pas vraiment une pourrie gâtée, donc.
Jack ou Monsieur “Je t’explique la vie”
Pendant les quelques jours de leur relation, Rose apprend beaucoup de choses… et pour cause, Jack passe son temps à lui enseigner comment se comporter autrement. Il lui apprend à cracher, à danser, à faire l’oiseau/ “roi du monde” à la proue d’un bateau, à survivre et, un jour, s’il avait pu, il lui aurait appris à mâcher du tabac comme un homme, à faire du cheval comme un homme… Alors certes, ouvrir l’horizon de son éducation étriquée est libérateur pour Rose, mais doit-elle toujours être l’élève d’un homme, aussi libre et effronté soit-il ?
On pourrait répliquer qu’il est compréhensible, étant donnée sa situation sociale, qu’elle soit moins débrouillarde que Jack, mais quand on voit comment elle remet l’homme d’affaires J.B. Ismay à sa place avec une référence freudienne sur l’obsession masculine pour la taille, on se dit qu’elle pourrait bien avoir une ou deux choses à partager avec Jack. Mais non, Jack a tout vu, tout connu, tout appris: la température de l’eau de l’Atlantique, l’Europe, les techniques picturales de Monet (alors même que c’est Rose qui collectionne ses peintures, c’est Jack qui les lui explique) et Rose l’écoute bouche bée –comme si la dissymétrie de leurs classes sociales avait besoin d’être rééquilibrée afin que le personnage masculin reste supérieur.
Titanic restera l’un des films chouchous de ma jeunesse mais son héros masculin me semble tributaire d’une vision datée de la masculinité surtout quand on le compare à des séries contemporaines comme Normal People mettant également en scène une relation passionnelle entre une fille d’une famille riche et un jeune homme issu d’un milieu populaire.
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