À l’origine, il y a un témoignage comme un autre sur le compte Instagram Bordel de Mères créé par Fiona Schmidt, autrice de l’essai Lâchez-nous l’utérus. Vendredi 10 juillet, elle publie le post d’une jeune femme ouvertement childfree et agacée de recevoir pour son anniversaire des photos des enfants de ses amies. “Hier, j’ai eu 30 ans et toutes mes amies qui sont mamans m’ont envoyé des messages avec des photos de leurs gosses. Pourquoi? Mais Pourquoi? Est-ce qu’elles essaient de me faire passer un message?”
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Je pourrais écrire un livre rien que sur les techniques employées par les mères ou futures mères pour exorciser les femmes qui ne veulent pas d’enfant malgré des rappels à la procréation quotidiens… Parmi elles, cette méthode étrange qui consiste à mettre la récalcitrante en contact prolongé avec des bébés, réels ou en photos, un peu comme si les nourrissons étaient la chloroquine de cette forme de Covid mental qu’est le refus d’enfanter. Moi par exemple⭐️, si j’avais reçu un euro à chaque fois qu’on m’avait collé un bébé dans les bras en roucoulant « oooooooh, c’est trop mignon, ça te va tellement bieeeeeeen, ooooooooh, il t’adore, hein que t’aimes ça, HEIN QUE TU VAS CHANGER D’AVIS ??? », je pourrais déjà prendre ma retraite. Il ne m’est jamais venu à l’esprit de lâcher un seul bébé avec un air dégoûté, mais il n’est jamais venu à l’esprit de personne non plus que ce n’était pas pour autant que j’allais avoir soudain envie de balancer mon stérilet pour rattraper le temps perdu… Donc je le dis solennelement ici, et je le redirai jusqu’à ce plus une seule childfree ne reçoive un babygros en cadeau pour ses 30 ans (vécu) : la maternité est une vocation formidable, mais tout le monde ne l’a pas, et le fait de ne pas l’avoir n’est pas une pathologie mais un choix personnel censé relever de l’intime, donc merci d’arrêter de vouloir nous guérir.😌 #lâcheznouslutérus ⭐️Eh oui les nouvelles (bienvenues !) : la tenancière de BDM ne veut pas d’enfant ce qui ne l’empêche pas d’écrire, de réfléchir et de compatir aux problématiques de la maternité. C’est ça, le monde de demain 👯♀️
Une publication partagée par Lâchez-nous l’utérus ! (@bordel.de.meres) le 10 Juil. 2020 à 7 :31 PDT
Alors qu’habituellement, les abonnées du compte échangent en toute bienveillance malgré leurs choix différents face à la maternité, ce post déclenche une vague de commentaires beaucoup moins empathiques que les autres voire agressifs. Si bien que le lendemain, un nouveau message de la jeune femme est posté, confiant sa tristesse face à ces réactions.
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Voici le message que la jeune femme dont j’ai posté le témoignage hier m’a envoyé dans la nuit. Sa détresse m’a fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre et me donne envie d’arrêter ce compte, parce que j’ai manifestement échoué à créer cet espace de bienveillance dont je rêvais entre des personnes très différentes dont les modes de vie sont également légitimes et respectables. Comme vous toutes qui m’écrivez, cette jeune femme a simplement voulu partager son malaise, et son malaise à elle, c’est cette injonction permanente à la maternité qui pèse d’autant plus lourd que ses sentiments vis-à-vis de cette pression sont systématiquement ridiculisés, minimisés ou niés. Sur près de 400 personnes qui ont commenté son post, il y en a à peine 10 qui ont tenté de se mettre à sa place sans la juger. Les autres l’ont plus ou moins diplomatiquement traitée de parano, lui ont reproché d’être braquée, de « mal interpréter », de ne pas être au clair avec ses choix (comme s’ils étaient par essence pas clairs), d’autres encore lui ont conseillé de prendre du recul, de ne pas se sentir agressée pour rien, de se mettre en question… Au lieu d’essayer de comprendre son point de vue à elle, 95% d’entre vous lui ont expliqué le point de vue de ses copines, comme si elle n’était capable de comprendre toute seule que leur intention est bonne, et comme si c’était le sujet. Pourtant la témoin ne dit pas « leurs intentions sont mauvaises », elle dit « leurs intentions me font me sentir mal. » Elle ne demande pas à ses copines d’arrêter d’envoyer des photos de leurs kids. Elle leur demande de la considération pour ce qu’elle est et que ses copines ne comprennent manifestement pas. J’espère qu’elle en trouvera plus qu’elle n’en a trouvé ici.😔💔 PS : Si vous ne comprenez pas ce post ni la détresse de cette jeune femme, ne perdez plus de temps ici : désabonnez-vous.
Une publication partagée par Lâchez-nous l’utérus ! (@bordel.de.meres) le 11 Juil. 2020 à 8 :54 PDT
Finalement, hier soir, c’est Fiona Schmidt elle-même qui partage son amertume face à ce manque de bienveillance entre femmes, aux antipodes de sa démarche quand elle a créé le compte Bordel de Mères. Elle-même childfree depuis toujours, elle se dit déçue du manque d’ouverture face à ses choix.
“On nous tolère à condition qu’on ne la ramène jamais (…) On en a marre d’être tolérées. On veut être acceptées. #lacheznousluterus”
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C’est la première fois depuis plus d’un an que ce compte existe qu’il perd des abonnées. Cette désaffection suit le chilfree gate qui a eu lieu ici vendredi, et qui m’a profondément blessée, en tant que childfree, en tant que militante qui me bats quotidiennement pour que toutes les femmes puissent faire et exprimer publiquement des choix que je ne ferais pas à titre personnel, et en tant qu’être humain. J’aurais pu créer un espace réservé aux no kids volontaires comme moi. Je ne l’ai pas fait parce que je crois en la capacité des femmes d’apprendre et de s’enrichir des différences les unes des autres. Je ne me bats pas pour un clan, ou contre un autre : je me bats pour qu’il n’y ait plus ces saloperies de clans, et qu’on puisse enfin avancer ensemble, dans le respect les unes des autres. Je n’ai pas envie d’être angoissée et peinée parce que je perds des abonnées, et je n’ai pas envie de renier mes valeurs pour en (re)gagner. Je prends donc du recul pour souffler un peu, et m’occuper de moi. J’ai un très grand besoin de changer d’air pour retrouver la force et l’envie de changer le monde. Je vous souhaite un bel et bon été, et de faire gaffe aux autres autant qu’à vous-même.🕊💜 PS : vous avez été nombreuses à me témoigner votre soutien en DM et dans les commentaires et je vous en remercie du fond du coeur. Vous êtes en général nombreuses à me demander comment vous pouvez soutenir mon travail. C’est très simple : achetez mon livre, offrez-le à vos ami.e.s, parlez-en autour de vous, parlez de ce compte, invitez les gens que vous aimez à le suivre et à réfléchir. Restons solidaires, les ami.e.s. Solidaires et fortes. 🤟🏻❤️
Une publication partagée par Lâchez-nous l’utérus ! (@bordel.de.meres) le 12 Juil. 2020 à 4 :49 PDT
M.L.