Avec « Le vent se lève », annoncé comme son ultime film, Hayao Miyazaki livre un chef-d’œuvre ambigu sur le génial créateur d’une machine de rêve et de mort, l’avion Zero.
Un chef-d’œuvre. Miyazaki, au sommet absolu de son art. Le cinéaste japonais, qui a annoncé dans la foulée qu’il abandonnait le cinéma (ce n’est pas la première fois et le film dit tout le contraire : il est incapable de vivre sans travailler), réalise avec Le vent se lève un autoportrait à travers celui d’un génial ingénieur en aéronautique qui a le malheur d’exercer sa passion dans les années 30… C’est lui qui va notamment inventer le fameux Mitsubishi Zero japonais, l’avion monoplace qui fera un malheur pendant la Seconde Guerre mondiale contre les Alliés… Le film, qui appartient à la veine la plus réaliste du génie nippon, est formellement parfait de bout en bout, passionnant, précis, confondant de beauté et d’art du mouvement. Miyazaki réussit aussi bien les scènes d’action collective que les scènes d’intimité. Sans concession, il se décrit comme un artiste vampirique avec les siens, vampirisé par son travail. Le film raconte à la fois la vie publique de l’ingénieur (qui ressemble beaucoup physiquement à Harry Potter) et sa vie privée, puisqu’il s’attache passionnément à une jeune femme atteinte de tuberculose. Et c’est déchirant.
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Seulement voilà. Il y a un bémol. Désolé de jouer les rabat-joie, mais la vision de l’artiste que livre Miyazaki a quelque chose qui ne passe pas pour un spectateur occidental du début du XXIe siècle. Quelle est-elle ? Celle d’un être rêveur qui échapperait aux contingences du monde, et qui n’aurait que faire du politique. Car le personnage de l’inventeur, qui sait exactement à quoi servira l’engin qu’il est en train d’imaginer, ne se pose jamais la question de sa responsabilité face à l’histoire, face aux hommes qui vont mourir à cause de lui. Si effectivement le film est traversé de part en part, comme toutes les œuvres du maître du dessin animé japonais, par la peur et l’obsession de la destruction (la séquence de tremblement de terre est une scène d’anthologie), il faut bien dire qu’il ne semble troublé que par la possible destruction du Japon – le pays plus que les humains qui y vivent. Le reste du monde ne le préoccupe guère.
Certes, le film a été attaqué dans son pays, l’armée et la droite lui reprochant son penchant antimilitariste. En réalité, le film ridiculise effectivement les soldats, mais sur un ton potache qui ne met absolument pas en cause la politique militariste nippone à la fin des années 30. Le Japon est constamment montré comme un pays uniquement constitué de pauvres paysans. Quant à la morale de l’histoire, empruntée en introduction à Paul Valéry : « Le vent se lève. Il faut tenter de vivre », elle laisse un peu estomaqué. Sur un champ de ruine, de carcasses d’avion, l’ingénieur a survécu à tout. Il va continuer de vivre, le bel artiste, en regardant les oiseaux s’envoler dans le ciel et se mêler à ses petits Zero… On est bien content pour lui. Mais tous ces morts qu’il laisse derrière lui, qu’en fait-il ? Rien ? Il ne s’agit évidemment pas, comme me l’a affirmé un journaliste italien, de dire que Miyazaki est « nazi ». Mais la naïveté, l’indifférence sont parfois tout aussi coupables.
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