L’illustratrice de 29 ans, inconnue il y a encore quelques années, croule sous les projets et demandes de collaborations. Elle a dû quitter son poste de cadre pour enfin vivre de sa passion: le dessin. En plus de son coup de crayon stylé, c’est son regard engagé, son humour et son goût pour dessiner des femmes racisées qui font sa singularité.
Voilà donc le visage qui se cache derrière la signature aux lettres arrondies, en bas à droite de chacun de ses dessins. J’imaginais une fille rigolote, sympa et qui a un avis sur tout: je ne suis pas déçue. Camille Blache, plus connue sous le nom de Blachette, est devenue incontournable dans la communauté de l’illustration sur les réseaux sociaux, grâce à un style qui mêle humour, émotion et actualité avec des personnages de toutes les couleurs. Ses dessins de Rihanna et d’Assa Traoré ont fait le tour d’Instagram, et ses vignettes sur des sujets de société ou de la vie quotidienne sont désormais très attendues par un large public sur les réseaux sociaux.
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Sneakers noires impeccables et maquillage soigné, elle s’installe derrière son grand gobelet de Latte -au temps jadis où nous pouvions jouir si naturellement des interactions sociales. Un souvenir particulier pour Blachette qui, victime de difficultés respiratoires et testée positive au Covid-19, a vécu un confinement strict jusqu’au 11 mai. Mais celle qui se confinait déjà régulièrement pour dessiner, a profité de cette épreuve pour finaliser ses nombreux projets en cours. Interview.
Testée positive au Covid 19, tu n’as vu quasiment personne pendant les deux mois de confinement. Comment vis-tu le déconfinement depuis le 11 mai dernier? C’est la libération?
En fait, je suis toujours confinée! Déjà parce que j’ai énormément de boulot mais aussi parce que j’évite encore de croiser les gens. Voir le nombre de personnes sur les quais de Seine à Paris par exemple, m’angoisse un peu. Si je veux me dégourdir les jambes, je reste dans mon quartier. Bien sûr, pour moi le plus dur est passé, mais quand je suis tombée malade, c’est la première fois que j’ai vraiment eu peur pour ma vie. Le plus difficile était de n’avoir absolument aucun échange avec un vrai humain, en chair en os: cette expérience m’a fait revoir toutes mes priorités. Je compte profiter encore plus de ma famille et de mes ami·e·s proches. Je veux aussi m’investir davantage dans des associations caritatives. J’ai beaucoup réfléchi à notre société aussi, je le pensais déjà avant, mais j’en suis convaincue: on a mis la planète à bout. J’ai commencé à exprimer cela en dessins, il y a tellement à dire!
Tu dessines vraiment depuis que tu es toute petite?
Oui, c’est une passion et même un truc de famille. Mon père peignait, ma grand-mère faisait des croquis de mode. Tous les deux m’ont inspirée. Au collège, en plein cours, quand une scène marrante se déroulait sous mes yeux, j’en faisais un dessin et on se le passait entre potes. Cela nous faisait bien rire, même si j’ai eu le droit à quelques engueulades! Ce goût d’exprimer et de partager ce qui me révoltait, m’amusait ou me touchait est resté. J’ai continué avec Instagram.
Justement, c’est grâce à Instagram que tes dessins sont largement sortis de ton cercle d’amis. Comment cela s’est-il passé?
Un soir de 2016, j’ai posté le portrait de Rihanna à l’occasion de la sortie de son nouvel album, puis je me suis couchée. À mon réveil, j’avais gagné des milliers de followers d’un coup: Rihanna avait aimé mon dessin et l’avait partagé! C’était une petite consécration. Puisque ma communauté avait grossi soudainement, j’ai continué à dessiner toujours plus. Puis j’ai participé à la première marche organisée par le Comité Adama, en mémoire d’Adama Traoré décédé suite à un contrôle de police, à Beaumont-sur-Oise et j’en ai tiré des dessins. Raphäl Yem (Ndlr: journaliste culture à France 3 et rédacteur en chef du magazine Fumigène) m’a contactée pour m’offrir ma première chance dans les médias. Comme le magazine correspond à mes valeurs, j’ai tout de suite dit oui. Depuis, avec l’équipe, on ne se quitte plus. Puis assez vite, j’ai enchaîné des contrats avec des marques ou enseignes comme Stabilo, Foot Locker et même avec des joueurs de football professionnels. L’année dernière, j’ai dû quitter mon poste pour assumer tout cela. (Rires.)
“J’ai toujours dessiné des filles racisées, en commençant par mes copines, que je représente comme je les vois.”
Sur le réseau social censé rassembler des photos, les dessins sont toujours très bien accueillis, comment l’expliques-tu?
Je pense que sur Instagram, les gens ont parfois une overdose des photos. Un dessin traduit plus de sensibilité, il y a un regard plus affirmé. La touche humour ou émotion fonctionne mieux. Nous pouvons travailler notre imaginaire. En fait je pense que cela réveille un côté enfantin que l’on a tou·te·s plus ou moins. Et puis un dessin protège plus qu’une photo. Je suis à fond sur les réseaux sociaux, c’est ce qui m’a fait connaître, mais je fais partie de celles et ceux qui se méfient de ce côté narcissique. Voir des mises en scènes tout le temps, c’est bizarre! Personnellement, je me raconte dans des dessins mais rarement voire jamais avec des photos.
Tu croques souvent des femmes très engagées, souvent racisées, qui luttent contre les discriminations. Pourquoi?
Oui j’ai beaucoup dessiné Assa Traoré par exemple, c’est une femme forte qui m’inspire beaucoup. Mais aussi Rokhaya Diallo. J’ai toujours dessiné des filles racisées, en commençant par mes copines, que je représente comme je les vois donc plus ou moins claires, plus ou moins noires, tout simplement. Je sais que certain·e·s illustrateurs·rices ne sont pas à l’aise avec ça, de peur d’être accusé·e·s de “noircir” ou de “blanchir” des peaux. Personnellement je n’y avais jamais pensé avant!
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C’est important de représenter les gens tels qu’ils sont et surtout de ne pas les cacher. J’ai grandi à Perpignan, ville qui compte malheureusement beaucoup d’électeurs du Rassemblement national. Je suis révoltée par l’exclusion, les différences sociales et raciales. J’ai toujours été engagée, ce n’est pas un calcul. D’ailleurs, cela ne m’a pas toujours servi. Je ne citerai personne, mais je sais que j’ai raté des contrats à cause de mes engagements publics comme par exemple en faveur des mamans voilées.
Parmi les combats qui te tiennent à cœur il y a aussi le féminisme, tu planches actuellement sur un livre en collaboration avec la féministe et militante antiraciste Rokhaya Diallo. Tu peux nous en dire plus?
Oui, j’en suis grave fière. Je ne connaissais pas Rokhaya Diallo personnellement avant. Mais quand Nadine Morano l’a traitée de “Française de papier”, j’ai eu l’idée de la dessiner avec un bonnet phrygien. Elle a aimé et nous avons gardé le contact.
Quand l’éditeur Marabout a validé un projet de livre illustré sur le male gaze, elle a pensé à moi. Nous travaillons depuis des mois sur une alliance texte et dessins humoristiques. Nous décryptons la prédominance de ce “regard masculin” à travers des seynettes de la vie quotidienne. Par exemple, j’ai représenté des hommes sur un plateau télé qui trouvent normal d’étaler leur point de vue sur la PMA. Ce sera en librairie à l’automne prochain.
Quelles sont tes autres inspirations?
Tu vas rire… Mais j’ai une vraie passion pour les sneakers depuis toute petite, et pour la mode en général. J’adore me poser dans un café, regarder les filles passer et reproduire les looks qui m’inspirent. Je commence toujours par regarder les pieds. (Rires.) Dans le métro, combien de fois j’ai dégainé un carnet et un stylo pour reproduire une allure… J’aime beaucoup l’univers de la musique hip hop, la pop culture m’inspire aussi. J’adore les mangas, le cinéma des années 80. Mon film préféré, c’est Jurassic Park…Voilà mon univers!
Propos recueillis par Mérième Alaoui
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