Charge mentale multipliée, injonctions à faire du sport et à continuer de s’épiler… Le confinement, plutôt que donner un répit aux femmes et à leurs corps, accentue les stéréotypes de genre.
Depuis le début du confinement, Internet donne à voir ce qu’il a de meilleur mais aussi de pire à offrir. Sur les réseaux sociaux, les “mèmes” sexistes se multiplient. Se retrouver confiné avec sa femme? Quelle plaie, nous racontent des hommes à l’humour affûté. Les salons d’esthétique et les coiffeurs fermés? Malheur! Racines et poils apparents, ongles non manucurés, prise de poids due à la sédentarité, la fin du confinement s’annonce “difficile” pour l’œil masculin.
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Être désirable, même à l’intérieur du foyer
Si une épidémie peut être contrôlée en forçant chacun·e à rester chez soi, les diktats de la beauté ne s’arrêtent pas forcément au pas de la porte. Citant Simone de Beauvoir, Sophie Barel, doctorante spécialiste de la représentation du corps féminin, nous rappelle que “l’intime est politique”: “La culture de l’injonction et de l’oppression aux corps féminins traverse largement le temps et l’espace, et les murs de nos maisons n’y sont pas moins perméables. Il faut rester belles, quoiqu’il arrive, comme si notre fonction première était d’être désirable.” Même en urgence sanitaire et confiné·e·s donc, les femmes se doivent d’être douces et lisses. “Il suffit de voir les femmes toujours épilées, même dans des films post-apocalyptiques, continue la chercheuse. Ces représentations témoignent bien à quel point c’est ancré chez tout le monde, hommes comme femmes. Ces dernières vont culpabiliser de ne pas être parfaites, et pour les hommes, c’est acquis que nous devons l’être. Nous n’avons pas la même autorisation à la nonchalance.”
Voir cette publication sur InstagramLes femmes à la fin 🤣 #girl #virus #coronavirus #corona #confinement #french #france
Preuve s’il en faut, l’un des premiers effets du confinement a été la prolifération des cours de sport en ligne. Certaines salles de sport et coachs sont même prêts à offrir des semaines d’abonnement gratuit: être coincé·e à la maison n’est ni une excuse, ni une raison pour se laisser aller -d’autant moins quand on est une femme. “Certes, nous n’avons plus à porter de corset. Mais désormais, il faut faire beaucoup d’exercices pour avoir un ventre plat, une taille fine” pour toujours créer du désir chez son conjoint, alors même que le moral est plombé par une angoissante épidémie. Les injonctions au corps parfait ont toujours existé, évoluant avec le temps et la société: il n’y a donc aucune raison pour qu’une situation exceptionnelle les empêche de proférer leur loi. D’autant que “dans nos sociétés occidentales, on met en avant le ‘travail’ sous toutes ses formes”, qu’il soit celui de l’esprit ou du corps. Le confinement étant représenté comme un moment où chacun·e a davantage de temps, “les injonctions à la productivité, au bonheur et au corps idéal” s’accentuent encore, explique Sophie Barel.
Un contrôle des corps qui rassure
Continuer à séduire donc, malgré le stress et le travail supplémentaire que peut engendrer la situation sanitaire mondiale. En première ligne face à l’épidémie ou à domicile avec leurs conjoint et enfants, les femmes sont d’autant plus sollicitées depuis la mise en place du confinement -et n’ont pas forcément le temps ou l’envie de s’imposer des contraintes supplémentaires. “Dans un couple hétérosexuel où les deux conjoints sont en télétravail, par exemple, la femme se retrouve souvent à devoir gérer l’intendance et les enfants pendant que Monsieur travaille”, rappelle Coline Charpentier, fondatrice du compte Instagram @Taspenséà. Loin de permettre une meilleure répartition des tâches et de la charge mentale, le confinement conforte les stéréotypes de genre en place dans les couple hétérosexuels.
Malgré le potentiel offert par ce moment, “le confinement n’enlèvera rien à ces injonctions sexistes, qu’elles concernent le physique des femmes ou leur rôle dans la gestion du foyer, déplore Ilhame Joubert, membre de l’UDAF de Paris et du mouvement Make Mothers Matter. Au contraire: tout est exacerbé parce que nous sommes à l’arrêt. D’habitude, on ne nous rappelle pas autant qu’une femme doit s’habiller ‘féminin’ et se maquiller, parce qu’on a intégré ces codes et qu’on le fait assez naturellement.” Plutôt que de permettre à notre corps et notre esprit de “reprendre son souffle” -peut-être que toutes celles n’ayant pas accès à leurs coiffeurs/coloration/épilation auraient fini par se trouver belles sans ces artifices- son contrôle est accentué par la situation.
“C’est rassurant pour certains, en temps de crise, de ranger les individus dans les petites cases qu’ils connaissent, y compris celles du genre: les femmes sont priées d’être épilées et maquillées, et les hommes sont invités à travailler leurs abdos, estime Sophie Barel. Qu’il soit le sien ou celui des autres, le corps semble être la seule chose contrôlable.” En des temps troublés, à l’avenir incertain, la promesse d’une plastique parfaite promet des jours meilleurs: certes, nous aurons passé le printemps enfermées, mais au moins, nous aurons un corps “digne” d’être montré sur la plage cet été -qu’importe la fatigue et le stress qu’il aura fallu subir pour y arriver.
Noémie Leclercq
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