Multi-entrepreneure dans la tech, Tatiana Jama a cofondé le collectif SISTA. Objectif: réduire les inégalités de financement entre les femmes et les hommes dans les levées de fonds.
En France, une femme a 30% de chance en moins de lever de l’argent qu’un homme auprès des plus grands fonds français. Face à cet injuste constat, Tatiana Jama, multi-entrepreneure française (Ndlr: elle a cofondé Dealissime, Selectionnist et Visualbot.ai) mène le combat pour l’égalité des chances au sein du collectif SISTA, avec notamment Céline Lazorthes (Leetchi et Mangopay), Roxanne Varza (Station F) ou Alice Zagury (TheFamily). Leur mission est simple -mais gigantesque: réduire ces inégalités de financement et permettre par conséquent à plus d’entrepreneures de voir leurs projets financés. Et par conséquent de féminiser un milieu encore trop imperméable à la parité et à la diversité en général. Aux côtés de Catherine Barba à New York, Tatiana Jama et Céline Lazorthes viennent d’annoncer la tenue du SISTA Summit x STATION F le 29 septembre 2020 à Paris où seront attendues des personnalités internationales engagées pour la diversité et l’inclusion encore jamais intervenues sur ce sujet en France. Tatiana Jama revient sur la naissance de ce collectif. Interview.
Comment est née l’initiative SISTA?
En tant qu’entrepreneure dans la tech depuis 11 ans, j’ai toujours considéré que c’était une chance d’être une femme. Mais cela fait longtemps que l’on dit qu’il y a un problème d’inégalité sans jamais vraiment proposer de solutions. En 2018, on a cependant pu lire de nombreux articles disant que l’entrepreneuriat féminin explosait, que les femmes levaient enfin des fonds, et qu’elles s’épanouissaient dans ce secteur. Mais de mon côté, ces discours m’étonnaient parce que sur le terrain, je ne faisais pas le même constat. J’ai commencé à en discuter avec Céline Lazorthes, fondatrice de Leetchi, et on s’est mises à compter les femmes avec cette conviction très forte: il faut le faire pour qu’elles comptent. On a très vite constaté que les chiffres étaient scandaleux et que le problème était systémique. On répète que les femmes manquent d’ambition, qu’elles subissent le syndrome de l’imposteur mais on ne questionne jamais pourquoi on n’arrive pas à faire émerger une nouvelle génération diversifiée de leaders.
“En tant que femmes, on est face à de nombreuses injonctions contradictoires.”
Quelle a été la première action de SISTA?
On a écrit une charte, avec l’appui du Conseil National du Numérique, avec un certain nombre d’engagements pour que les fonds d’investissement imposent plus de mixité à la fois au sein de leurs équipes et de leurs portefeuilles. Elle a été signée le 17 octobre dernier par 56 fonds d’investissement.
Qui compose le collectif?
C’est un mix d’entrepreneur·e·s et d’investisseur·euse·s. Car pour changer les choses dans un secteur, il faut mettre en action toutes les parties prenantes. SISTA est composé de beaucoup de jeunes femmes VC (Ndlr: personnes qui investissent dans les start-up) , d’entrepreneures mais aussi d’hommes. Notre volonté n’est pas de stigmatiser qui que soit. On souhaite vraiment mettre en place un collectif afin de répondre à une problématique systémique qui freine les carrières des femmes. En tant que femmes, on est face à de nombreuses injonctions contradictoires. Notre message est de leur dire: tout va bien, votre ambition est au top, c’est le système qu’on doit changer pour qu’il vous laisse l’occasion de l’exploiter.
“On remet toujours le problème sur le dos des femmes.”
Est-ce que ça a été facile de rassembler des femmes et des hommes autour de cette initiative?
Non, parce que je pense que beaucoup se disent que les inégalités viennent d’un problème d’éducation. On remet toujours le problème sur le dos des femmes. Mais une fois notre point de vue correctement expliqué, les gens commencent à comprendre que le problème… vient d’eux! Les chiffres sont terribles, en particulier dans l’économie du numérique, celle qui construit le monde de demain. Mais je suis optimiste: on a réussi à mobiliser de nombreuses personnes. Il y a une vraie prise de conscience. Ce n’est pas facile mais on avance.
Le nom “Sista” renvoie aussi à la sororité…
C’est un terme compliqué qui a été utilisé à des fins marketing et qui a surtout été employé dans un monde qui ne pouvait pas accueillir de sororité dans la mesure où il a été surinvesti par les hommes. Dans l’entrepreneuriat, elle a en revanche toujours existé, notamment parce que les femmes n’étaient pas du tout en concurrence et avaient besoin des unes des autres pour grandir et s’entraider face aux difficultés. C’était donc naturel pour nous de créer un collectif qui inspire cette valeur. Chez les femmes VC, c’est plus compliqué, parce que jusqu’alors, elles n’étaient pas organisées en réseaux féminins. Aujourd’hui les choses changent et notamment avec SISTA, où on les rassemble une fois par mois afin de construire une vraie communauté. Plus on va avoir de femmes VC, plus on aura d’entrepreneures financées et plus on aura de sororité. C’est un cercle vertueux.
Propos recueillis par Arièle Bonte