Recueil autobiographique signé de la main du journaliste, musicien et attaché de presse Adrien Durand, “Je n’aime que la musique triste” s’envisage comme un remède à la morosité qui déconstruit nos rapports à la musique.
Je n’aime que la musique triste est un livre curieux. Déjà parce que dès les premières pages on sait que son titre est au mieux trompeur au pire complètement mensonger, mais surtout parce qu’il est bien plus que ça. Plus qu’un simple catalogue qui convoquerait la grande Histoire des musiques cafardeuses à faire pleurer dans les chaumières, ce livre petit format (118 pages qui tiennent dans la poche) est une collection d’anecdotes et de récits musicaux inextricablement tissés dans le canevas de la vie de son auteur et toujours augmentés par une certaine hauteur de vue.
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Adrien Durand est journaliste (et collaborateur des Inrockuptibles), attaché de presse, ex-musicien, et traîne dans cette pagaille qu’est l’industrie musicale depuis longtemps déjà. Fondateur du zine (web et papier) Le Gospel, il autoédite aujourd’hui Je n’aime que la musique triste après s’être fendu d’un essai sur Kanye West (Kanye West ou la créativité dévorante, aux éditions Playlist Society).
Un monde de paradoxes
Partant des paradoxes inhérents à la pratique du journalisme musical (grosso modo l’intellectualisation contre la spontanéité), Adrien Durand décide sciemment de s’installer le cul entre deux chaises et plonge, à corps perdu, dans cette ambivalence. Cultiver une dichotomie entre celui qui écoute, dissèque, disserte, théorise la musique depuis des années et les épiphanies musicales passées, c’est tout l’enjeu de cet ouvrage aussi anecdotique qu’essentiel écrit quasi sans retouches pendant les confinements successifs. Un oxymore en soi.
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Comme au cinéma, le “tous les événements décrits ici se sont produits” concluant l’avant-propos du livre indique moins un récit purement factuel qu’une manière d’investir ces souvenirs, laquelle est permise par l’exercice rétrospectif. Toujours lié de près ou de loin à la musique – le mec qui porte la guitare de Patti Smith, les concerts dans des lofts guindés (un motif récurrent du livre), la musique qu’on entend depuis les chiottes du bar, les vieilles icônes, les soirées drogues ou les algorithmes de YouTube – Je n’aime que la musique triste ausculte finalement la manière avec laquelle ces morceaux créent des épiphanies, des turning-points plus ou moins soudains dans nos vies d’enfants, d’adolescents et d’adultes.
Playlist idéale
Qu’est-ce que nous apporte un morceau ou un artiste quand on ne le décortique pas à la manière d’un fan de rap sur Twitter ou d’une personne dont ce serait le métier ? Dans sa tentative d’intellectualisation du phénomène, Adrien Durand s’engouffre nécessairement dans une impasse. Mais l’essentiel est ailleurs. Les artistes que l’on retrouve sur la 4e de couverture du livre – Morrissey, Blonde Redhead, Arthur Russell, Theo Parrish, Bruce Springsteen, The Internet, Guided By Voices – sont autant de morceaux tristes que de portes d’entrée pour disséquer sa propre vie. Entre pérégrinations américaines et canadiennes à la Hunter S. Thompson, pick-up line ratée sur fond de musique de bar, coïncidences trop saisissantes pour ne pas en questionner la réalité, libération sur scène, blagues d’ingé son ou attaques sur l’écosystème de la musique parisienne, ce sont finalement ces morceaux qui, passés au crible de la mémoire, contiennent par essence tous nos souvenirs.
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La playlist d’Adrien Durand :
The Organ – Brother
« C’est un titre dont je parle en ouverture du livre dans le texte qui évoque Morrissey. The Organ est un groupe quasi mort-né que j’aime toujours beaucoup, très touchant dans son envie d’imiter les Smiths et qui a tout de même sa propre personnalité. »
Chubby Wolf – On Burnt, Gauzed Wings
« Un projet ambient méconnu que j’ai découvert sur Reddit et derrière lequel se cache Danielle Baquet-Long, une jeune musicienne décédée en 2009. J’aime beaucoup le nom du projet qu’elle avait choisi pour se moquer du sérieux de la musique drone et expérimentale. »
Flying Burrito Brothers – Dark End of The Street
« Un de mes morceaux préférés de tous les temps sorti en 1969 et qui donne à entendre à la fois une certaine perte d’innocence et l’idée qu’on se retrouvera tous dans la mort. »
Cyndi Lauper – True Colors
« J’adore ce morceau depuis que je l’ai enregistré sur une K7 à la radio quand j’avais huit ans. La pop mainstream des années 80 convie avec elle une grande mélancolie, jamais désespérée et on l’entend souvent dans des contextes étranges (supérettes, PMU ou bars à Karaoké).«
Gil Scott-Heron – Whitey On The Moon
« Ce n’est pas le morceau en lui-même qui est triste mais la situation qu’il décrit (même si Scott-Heron s’exprime avec beaucoup d’intelligence et d’humour). Une des plus belles voix de l’histoire (selon moi). »
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Je n’aime que la musique triste d’Adrien Durand (Editions Le Gospel) disponible depuis le 24 février 2021 à cette adresse.
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