Raw Power, l’album fondateur du punk, fit entrer les Stooges dans la légende en même temps qu’il signait leur arrêt de mort. Il ressort aujourd’hui en version deluxe. Mais en 1973, le disque et sa tournée ne furent que violence et provocation. Récit d’une épopée destroy et écoute de la réédition.
Le 28 septembre 1968, date du premier concert des Stooges au Grand Ballroom de Detroit, Iggy, 40° C de fièvre, expédiait un show kamikaze de trente minutes qui se conclut par des insultes au public et des crachats sur les premiers rangs. Au cours de sa longue et trépidante carrière, l’Iguane saura faire pire.
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En janvier 1969, à Dearborn, Michigan, il saute dans la foule, saisit une fille par les cheveux et fait mine de la poignarder. Les organisateurs auront beau inclure une clause dans ses contrats, stipulant qu’il “ne doit en aucune manière avoir de contact physique avec le public”, il ne la respectera jamais. Quelques mois plus tard, il se jette de nouveau sur une spectatrice qui lui griffe le visage. Iggy la mord au bras en retour.
Avouons qu’à l’époque, il ne s’épargnait pas non plus. Lors d’un passage à Boston, il se lacère la poitrine et arrose le public de son sang. Au hasard des tournées de plus en plus chaotiques, on le verra s’éclater les dents de devant sur le micro et se rouler dans des éclats de verre. En 1974, au Whisky A Go-Go à Los Angeles, il se répand la cire brûlante d’une bougie sur le torse. Il lui arrivera aussi de vomir sur scène et (souvent) d’y exhiber son sexe.
Ainsi la place très particulière qu’occupent les Stooges dans l’histoire tient en partie à cette manière tout à fait infâme de l’obtenir et qui est pourtant toujours la meilleure en rock’n’roll. Ils ne se sont pas contentés de chanter les amours chiennes (I Wanna Be Your Dog), d’inventer un nouveau son, cette “musique blanche pour délinquants [attachment id=298]suburbains”, selon l’intéressé. Ils l’ont fait en assumant tous les périls, tous les paradoxes, en comblant les pulsions les plus nihilistes que déclenchait cette musique.
Et ce, en ayant une épuisante et à la fois délicieuse conscience d’où tout cela allait les mener : à l’échec. Raw Power, troisième album réédité aujourd’hui en version de grand luxe, est de loin le plus beau, le plus réussi, le plus spectaculaire de tous leurs naufrages. Sans doute l’est-il parce qu’il se voulait une rédemption après une première mort du groupe. C’est qu’entre ce premier concert à Detroit et le moment où ils entrèrent en studio à Londres pour l’enregistrer, quatre ans plus tard, leur carrière avait sombré et, de meilleurs espoirs de la nouvelle scène américaine, ils étaient devenus un cauchemar pour leur entourage et pour eux-mêmes.
Dave Alexander, leur bassiste, venait d’être viré tant son ivrognerie lui avait ôté jusqu’à la faculté de jouer de son instrument (il mourra peu après, en 1975). Las des joints et du LSD, Iggy consommait désormais coke et héroïne. Scott Asheton, le batteur, suivait la même ligne. Avec une fierté un peu dérisoire, Iggy dira qu’il fut à cette époque “le junkie le plus musclé des Etats- Unis”. Seul le guitariste Ron Asheton, frère de Scott, se gardait de tout commerce avec les drogues dures.
Les Stooges n’avaient néanmoins plus d’existence réelle. Ils ne parvenaient plus à décrocher le moindre engagement. Leur maison de disques, Elektra, venait de les lâcher et réclamait le remboursement des 80000 dollars d’avance pour enregistrer la suite de Fun House, génial deuxième album qui s’était très mal vendu. Accro, paumé et sans le sou, Iggy retourna un temps vivre dans la caravane de ses parents à Ann Arbor, près de Detroit, banlieue uniforme où s’enlisent les existences tièdes et où renaît le rêve des Argonautes du rock.
C’est de ce monde en lisière que vient James Osterberg, d’où il a voulu s’évader. Enfant timide aux yeux un peu globuleux (d’où ce surnom d’Iggy, diminutif d’iguane), il fut longtemps en proie à des crises d’asthme sévères soignées par un traitement à base d’éphédrine, produit qui, s’il permet de mieux respirer, active les glandes qui sécrètent l’adrénaline. Un détail impossible à ignorer quand on écoute les Stooges pour la première fois.
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