Nouveau venu sur la scène pop new-yorkaise, Darwin Deez raconte la création de son premier disque, son passage éclair à Wesleyan, ses cours de claquettes et sa passion pour l’assassinat de JFK. Rencontre avec un extraterrestre à bouclettes, vidéos et écoute intégrale de l’album.
Comment as-tu commencé la musique ?
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Mes parents m’ont acheté une guitare quand j’avais onze ans. Mon père en jouait déjà. Il m’a montré quelques accords, puis j’ai pris des leçons de guitare. Je ne crois pas avoir dépassé la sixième leçon. C’est dur de devenir bon à la guitare, je ne faisais pas vraiment de progrès… J’ai commencé à écrire des chansons – d’affreuses chansons d’ailleurs – dès ce moment là. Ensuite, je me suis mis à l’électro. J’ai acheté une boîte à rythmes, j’ai même mis de l’argent de côté pour m’acheter un sampler. J’ai fait de l’électro pendant quelques années, puis j’ai arrêté pendant un an. C’était pendant ma première année de fac à Wesleyan, la pire année de ma vie.
Beaucoup de groupes actuels comme MGMT, Amazing Baby, Boy Crisis, se sont formés à Wesleyan et en parlent comme d’un lieu extrêmement créatif. Ce n’est pas ton sentiment ?
Pas du tout. Je pense que c’est lié au fait que je ne faisais plus de musique et que j’avais beaucoup de mal à me faire des amis que j’aimais bien là-bas. Je crois que je suis très difficile. J’aimais bien certaines personnes, mais traîner avec eux signifiait aussi traîner avec leurs amis que je n’aimais pas vraiment. C’était une année très frustrante. C’était impossible de créer son propre groupe d’amis à Wesleyan, et c’était pourtant ce que j’avais envie de faire : avoir des potes, monter un groupe avec eux. C’est ce que j’ai fait plus tard, mais à l’époque, ce n’était pas envisageable. En plus, Wesleyan se trouve dans le Connecticut, à Middletown, et là-bas, il ne se passe rien. En fait, tu n’as pas d’autres options que de traîner avec les gens de la fac parce que sinon, tu t’ennuies à mourir. Je me sentais coincé et terriblement déprimé, en partie aussi parce qu’étudier à la fac n’était pas fait pour moi. J’avais seulement envie de faire de la musique, pas de l’étudier.
Pourquoi es-tu allé à la fac alors ?
Pour que mes parents ne pètent pas les plombs. Ils voulaient que j’y aille, que je sois diplômé. Ils me disaient « va à la fac et ensuite, tu décideras ce que tu veux faire », mais avec le recul, je crois que la décision était déjà prise depuis longtemps. J’ai étudié la philosophie, j’adorais ça, mais je ne voulais pas l’enseigner. J’ai d’abord commencé par quitter Wesleyan pour aller à la fac à New-York, puis j’ai arrêté l’année suivante. C’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie. J’espère ne jamais avoir à y retourner. J’aime apprendre des choses, mais pas de la façon dont on le fait à la fac. Je ne comprends pas pourquoi je devrais lire des bouquins pendant quatre ans puis arrêter une fois mon diplôme en poche. J’ai toute ma vie pour apprendre. Je crois que certaines personnes ne sont pas faites pour l’enseignement scolaire, et j’en fais partie. C’est certainement lié au fait que j’ai des T.D.A.
Des T.D.A.?
Troubles Déficitaires de l’Attention. Je suis hyperactif en fait. C’est terrible à l’école, mais dans la vie, je crois que ça m’aide beaucoup.
De quelle manière ?
Pour la musique par exemple, j’ai l’impression que les idées arrivent très rapidement, trop rapidement d’ailleurs parfois. L’hyperactivité et la créativité sont similaires pour moi. Je vis beaucoup dans ma tête, je me distrais tout seul avec mes propres pensées, mes inventions et j’écris des chansons sans vraiment m’en rendre compte.
[attachment id=298]En parlant d’invention, avant d’être en solo, tu étais guitariste du groupe Creaky Boards qui a accusé Coldplay de lui avoir volé l’une de ses chansons pour en faire Viva la Vida. Comment as-tu vécu cela ?
Plutôt bien, puisque c’est Andrew, le chanteur, qui a essuyé toutes les critiques ensuite (rires). Les gens ont été très durs avec lui quand ils ont compris que c’était une plaisanterie, pas avec moi. Avec le recul, je crois simplement que ça nous a aidés à se faire connaître, et c’était le but. On a bien rigolé en tout cas. Je n’arrive toujours pas à croire que ça ait marché, et qu’une procédure juridique ait été engagée alors qu’il ne s’agissait que d’une simple blague. Ce qui s’est passé c’est qu’on a entendu la chanson de Coldplay, et on a trouvé qu’elle ressemblait un peu à notre morceau, The Song I Didn’t Write. Andrew a filmé la vidéo en exagérant la ressemblance entre nos deux titres et en suggérant qu’on avait peut-être aperçu Chris Martin à l’un de nos concerts. Tout s’est monté de fil en aiguille sur le ton de la blague, mais nous voulions vraiment que les gens nous prennent au sérieux, qu’ils découvrent notre groupe grâce à cela. Ça s’appelle du marketing moderne (rires).
Crois-tu que ce gag ait marché parce que l’industrie musicale est aujourd’hui plus intéressée par ce genre d’histoire que par la musique elle-même ?
Clairement, oui. L’autre jour, j’ai fait une interview vidéo pour un site web dans laquelle le journaliste m’a demandé ce que je pensais de la musique pop actuelle. J’ai eu le malheur de dire que je n’aimais pas Lady Gaga. Le lendemain, la vidéo était en ligne avec pour titre « Darwin Deez : je n’aime pas Lady Gaga« . Le problème, c’est qu’effectivement, je n’aime pas ce qu’elle fait maintenant, mais peut-être que j’aimerais son prochain album ou son prochain clip, et si c’est le cas un jour, cette interview disant le contraire sera pourtant toujours en ligne. J’ai l’impression que les gens devraient réfléchir plus avant de tout prendre au pied de la lettre, mais qu’est-ce que je peux y faire ? L’industrie musicale est bercée de rumeurs aujourd’hui. C’est cool de parler de musique, mais c’est encore plus cool de parler des rumeurs qui l’entourent, non ? La musique est toujours là cependant, tu l’écoutes si tu veux.
Quand as-tu commencé à faire la musique que tu fais aujourd’hui ?
Il y a trois ans. Non, attends, un peu plus tard en fait. J’ai d’abord passé un peu de temps à faire de la musique expérimentale, de la noisy pop plus lo-fi, puis je me suis tourné vers la pop trois ou quatre ans après avoir quitté Wesleyan. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire les chansons de l’album.
Darwin Deez est un album homemade, très DIY. Tu l’as enregisté chez toi par choix ou par défaut ?
Par choix. J’adore le processus d’enregistrer à la maison. L’idée de consacrer toute les heures de ma journée ou de ma nuit à enregistrer me plaît. Et puis j’ai besoin d’avoir le contrôle sur absolument tous les aspects de ma musique. C’est d’ailleurs pour ça que je travaille tout seul.
Tu es un control freak ?
Selon toi ? (Darwin se met à rapper, répétant « you tell me, you tell me »). J’ai essayé de faire un truc là, mais je crois que je ne suis pas très bon à ce jeu là, non ? Bien sûr que je suis un control freak !
Ce n’est pas le cas de tous les musiciens finalement ?
Peut-être. J’aime tout contrôler : mes amis, ma musique, tout. J’aime le contrôle. Vraiment, j’aime ça. (rires) Cependant, trop de contrôle peut être très chiant aussi. Il faut mettre des limites.
Pourquoi as-tu abandonné l’électro et la noise au profit de cette pop très catchy ?
J’ai commencé à aller à des soirée Open Mic à New-York et je crois que certaines personnes qui chantaient et jouaient là-bas m’ont simplement donné envie de faire ça. Ça faisait un moment que je voulais faire ce genre de musique, mais ça ne fonctionnait pas, et puis grâce à ces gens, je crois que j’ai eu un déclic.
Tu as l’air de sans cesse sauter d’un genre à l’autre, de toujours vouloir tout expérimenter en musique ?
Je ne suis pas entièrement d’accord. Chaque fois que je me suis intéressé à un genre de musique – l’électro quand j’étais ado, le rock indé à la fac, la pop noisy après -, je l’ai exploré à fond, pas seulement survolé. Quand je m’intéresse à un type de musique, je l’étudie entièrement, quitte à devenir totalement obsessionnel. Par exemple, il y a deux ans, je me suis passionné pour l’assassinat de JFK. A l’école, on m’a appris que Lee Harvey Oswal a tué Kennedy – c’est la version officielle. Pourtant, aujourd’hui encore, les gens ne sont pas d’accord sur ce qu’il s’est réellement passé et ça me fascine complètement. J’ai appris tout ce que je pouvais sur cet événement jusqu’à avoir toutes les clés en main pour pouvoir avoir ma propre opinion dessus. C’est ma façon d’apprendre.
Pourquoi n’as-tu pas étudié la musique ?
Ça aurait été une catastrophe ! Partir en tournée, être sur la route sans cesse est bien plus éducatif. La musique est une sorte de monde magique qui n’a rien à voir avec le réel.
Pourtant, tes chansons parlent d’histoires très réelles, les tiennes…
Effectivement, mais enregistrer ces chansons n’avait rien à voir avec vivre ce que j’y raconte.
La plupart des thèmes abordés dans les chansons de l’album sont tristes (suicide, rupture…). Pourquoi les enrober de pop music euphorique ?
J’aimes les chansons tristes, mais pour être honnête, je les trouve ennuyeuses. J’ai appris à me méfier de la musique triste, surtout quand je me sens mal, ce qui était le cas quand j’ai écrit l’album. J’ai beaucoup écouté My Red Scare, ce magnifique album de Frankie Sparo mais ça ne m’a pas vraiment aidé. Plus je l’écoutais, et plus je plongeais. Je crois que c’est en partie pour cette raison que j’ai voulu faire de la musique très joyeuse, très rythmée : pour me remonter le moral. Et puis certaines chansons de l’album ne sont pas si tristes que ça. (Darwin se fige) Ça n’a aucun sens ce que je dis, si ? (rires)
Ça a du sens pour des groupes comme Of Montreal ou Passion Pit qui, eux aussi, font de la pop music très dansante tout en parlant de choses très dures, très personnelles. Le chanteur de Passion Pit a souvent dit qu’il aimait l’idée de détourner l’attention des gens avec de la musique catchy pour mieux insuffler le poison de ses textes. Tu te reconnais là-dedans ?
Un peu. Je vois plutôt ça comme une thérapie en fait. C’est toujours plus facile de faire passer des pensées pas très gaies quand on fait de la musique de cartoon. Et puis, c’est simplement la musique que je veux entendre, celle dont j’avais besoin pour me sentir mieux.
Quels groupes écoutais-tu à cette époque pour te sentir mieux justement ?
Tu connais The Blow ? Je pense que c’est ce groupe qui a tout déclenché. On peut dire que c’est l’empreinte de départ de ma musique. Avant leur premier album, Paper Television, ils ont sorti un EP intitulé Poor Aim : Love Songs EP qui est tout simplement génial à mes yeux, très authentique et avec une forte personnalité. J’ai écouté ce disque en boucle pendant que je composais.
On compare souvent ta musique aux Strokes, et notamment à Julian Casablancas pour ta façon de chanter sur certains titres (Constellations, Lights On). Que penses-tu de cela ?
J’aime beaucoup les Strokes, donc c’est toujours cool d’être comparé à eux. Après, pour ce qui est de chanter comme Julian Casablancas, je crois que c’est uniquement du à la distortion sur ma voix, qui est très similaire à celle du premier album des Strokes. Je n’ai pas l’impression de chanter comme lui en dehors de cet effet là. Lui il chante plutôt comme ça (Darwin réalise une imitation de Julian Casablancas plutôt réussie), alors que moi, j’ai une voix moins grave, moins dramatique dans un sens.
Que penses-tu de cette étiquette de hipster qu’on t’a tout de suite collé lorsque ton premier EP est sorti ?
Ça me va, je suis un hipster. Je ne trouve pas ça offensant. Tous les musiciens sont des hipsters. Andrew (Vanwyngarden, de MGMT) ? Hipster. Ben (Goldwasser, de MGMT) ? Hipster. (Darwin pointe du doigt La Roux en couverture de l’exemplaire des Inrocks qu’il tient dans la main) Cette fille ? Hipster. Ce que je veux dire c’est qu’à partir du moment où tu t’habilles de façon recherchée et que tu te tiens au courant de ce qui se passe en matière de musique, tu es un hipster. A l’origine, « hipster » n’a pas une définition péjorative, je ne vois pas pourquoi je le prendrais mal. Si être un hipster, c’est être quelqu’un de cool, ça me va.
[attachment id=298]Que penses-tu du lien très fort entre musique et mode ?
C’est marrant non ? Je crois que tous les musiciens – en tout cas c’est vrai pour moi – ont besoin d’être différents. Je me sens mieux en m’habillant de cette façon. Tout le monde à besoin d’être spécial et les musiciens, encore plus que tout le monde je pense. J’adore m’habiller, choisir mes vêtements. Je n’aime pas les photoshoot ou les pages de mode, mais les gens dans la rue sont assez passionnants question style.
Vous êtes d’ailleurs tous très lookés dans le groupe. Comment as-tu rencontré tes musiciens ?
Cole et Greg, qui jouent respectivement de la guitare et de la batterie travaillaient au même restaurant que moi. Michelle, qui joue de la basse, faisait des claquettes avec moi. Elle est danseuse professionnelle maintenant. Ça paraît bizarre mais je te jure que c’est vrai. J’étais assez bon d’ailleurs.
C’est de là que viennent vos petites chorégraphies entre les chansons sur scène ?
Non, en fait, j’écoutais une chanson de Ghostbusters et je me suis dit que se serait cool de faire ça, pour faire une pause entre les morceaux. On a commencé à le faire, les gens ont aimé donc on a continué.
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