Avec ce portrait d’une femme flouée en instance de rébellion, l’Allemande Katja Schönherr signe un premier roman violent et haletant, superbement écrit, qui fait écho à bien des anxiétés contemporaines.
A mi-parcours de Marta et Arthur, premier roman de l’Allemande Katja Schönherr, un court paragraphe précipite l’esprit du récit : “Marta s’exhorte à comprendre enfin ça : Arthur est mort. Arthur n’est plus en vie, il ne respire plus, ne fume plus, ne tousse plus, ne peste plus. Oui, peut-être même qu’il ne la hait plus.” Marta et Arthur étaient marié·es depuis une quarantaine d’années.
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Elle a 59 ans, il en avait beaucoup plus. Ils eurent un fils qui est un adulte aujourd’hui. Mais quel est cet “aujourd’hui” ? Une aube grise où l’on découvre Marta s’afférant sur une plage à amasser du sable dans des sacs en plastique.
Cette frénésie est le prélude d’une journée particulière où Marta va se démener sur le frais cadavre de son mari en organisant une cérémonie païenne où le sable sera essentiel. Mais d’autres aujourd’hui se lèvent, revenus du passé : l’adolescence contrainte de Marta, son coup de foudre pour Arthur, un de ses professeurs, “l’homme aux yeux menthe givrée”, le scandale de leur union, bientôt contrarié par une vie rabat-joie, faite d’arrangements misérables, de sexe dans le noir et habillé, d’un enfant à venir, promesse d’un raccommodage qui s’effilochera comme tout le reste.
Un récit obsédé de détails
L’action, ou plus exactement son absence, vaque au bord de la mer, probablement la Baltique. Mentalement on divague plus au nord, jusqu’à l’île de Fårö où Bergman habita et tourna certains de ses films. Marta et Arthur fait cet effet d’un avatar de Scènes de la vie conjugale.
Contactée, Katja Schönherr, depuis Zürich où elle réside, ne confirme ni n’infirme : “J’avais en tête une station balnéaire du nord de l’Allemagne mais je ne voulais pas trop la singulariser afin que le lecteur se concentre sur l’essentiel : la toxicité du couple Marta-Arthur.” Estime-t-elle que l’autodestruction est consubstantielle à toute conjugalité ? “C’est une question ouverte. Marta et Arthur vivent dans une redondance de plus en plus vide. Ils ne peuvent plus se supporter, ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. Je m’abstiendrai de généraliser.”
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Abstrait, le paysage est cependant un personnage principal, tant ses descriptions cliniques envoûtent. Ainsi de celle de cette plage pour laquelle Katja Schönherr insiste sur “des centaines de carapaces abandonnées, de fines pattes cassées et de pinces rejetées par les flots […] Un champ de bataille de crabes morts.” De même quand le récit s’obsède de certains détails dans l’appartement de Marta et Arthur : les franges d’un tapis qui exigent d’être impeccablement peignées, une orchidée “à sa place” sur le buffet, un rideau de coquillages à l’entrée du salon.
Entre roman policier et science-fiction
Style de glace et histoire incandescente. Qui frôle le roman policier quand on se demande, nourri·e d’indices discrets, si Marta n’aurait pas assassiné son Arthur. Katja Schönherr est rétive à toute classification : “Pourquoi pas un polar… Mais Marta et Arthur pourrait être lu comme une science-fiction : une postapocalypse peuplée de survivants.” Apocalypse ? Survivant·es ?
Katja Schönherr vient elle-même d’un monde disparu. L’ex-Allemagne de l’Est, plus précisément Dresde, où elle naît en 1982. “J’ai peu de souvenirs de cette petite enfance. Mais Dresde m’habite, les fantômes de son passé, nazi puis communiste, et surtout son présent où prolifère la peste de l’extrême droite.”
Après avoir suivi des cours de journalisme à l’université de Leipzig, puis étudié les lettres modernes à Berne, elle est notamment chroniqueuse littéraire pour le NZZ am Sonntag, supplément du quotidien suisse allemand Neue Zürcher Zeitung.
“Il était important pour moi de créer des personnages qui ne sont ni clairement bons ni franchement mauvais”
Marta et Arthur serait-il un cas superbe de romance anti-romance ? La réponse est cachée dans une nouvelle de Katja Schönherr, rédigée en 2020 à l’occasion du prix germanophone Ingeborg Bachmann. Un jeune couple visite un zoo. Dans la cage des singes, Ziva, une femelle orang-outan, brandit une pancarte avec un message de protestation.
“C’est une farce sociale. Les visiteurs du zoo ne peuvent pas s’entendre sur ce qu’il y a d’écrit sur ce morceau de carton. Tout le monde ne lit que ce qu’il veut lire. L’interprétation cohérente d’un événement commun est impossible. Cela me semble d’actualité. Comme dans Marta et Arthur, il était important pour moi de créer des personnages qui ne sont ni clairement bons ni franchement mauvais.”
On ne saurait mieux résumer Marta et Arthur : un grand roman de l’incertitude.
Marta et Arthur (Zoé), traduit de l’allemand par Barbara Fontaine, 256 p., 21€
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