Retour sur les origines d’un phénomème virale, de l’invention du terme en 1976 à son explosion actuelle dans la pop culture et la société.
Le terme “mème” apparaît pour la première fois en 1976 dans un essai de Richard Dawkins intitulé The Selfish Gene (Le Gène égoïste, Odile Jacob, 2003). Il s’agit d’un mot-valise né de la fusion du grec “mimesis” (imitation) et “gène”. Cette première acception de “mème” est à mille lieues d’anticiper les mèmes internet, tout du moins au premier abord. Car il s’agit alors d’une théorie inspirée de l’idéologie évolutionniste darwinienne et qui repose sur l’hypothèse du rôle central que joue l’imitation dans la transmission culturelle. Un mème serait un phénomène culturel capable de se reproduire et de se transmettre, tel un gène.
Développée au cours des années 1980, la mémétique est donc l’étude de la façon dont les phénomènes culturels évoluent, disparaissent ou au contraire se répandent, selon des procédés de sélection naturelle qui les rapprochent des êtres vivants. Dans cette première définition, très large, peuvent être considérés comme mèmes les phénomènes culturels suivants : tradition, croyance, dicton, idéologie, mot d’argot, légende urbaine, blague, théorie du complot ou encore effet de mode.
Le mème, une “idée contagieuse qui se transmet d’esprit en esprit”
En 1994, le magazine américain Wired va même plus loin en rapprochant le mème d’un virus : “Une idée contagieuse (appelée un mème viral) se transmet d’esprit en esprit, de la même façon qu’un virus se transmet d’un corps à un autre.” Au cours des années 1990, internet se répand petit à petit dans les ménages et révolutionne la communication humaine. Ce réseau informatique donne naissance à une nouvelle utilisation du mot, qui éclipse bientôt la première. Un peu comme si le mème avait fusionné avec ce nouveau moyen de communication pour accoucher des mèmes internet que nous connaissons aujourd’hui.
On pourrait même s’amuser en observant que, selon le procédé d’évolution darwinienne auquel il se rattache, le mot “mème” s’est lui-même adapté à ce nouvel environnement et a évolué à son contact. Internet est ainsi au mème ce que le papier est à l’écriture ou le disque vinyle à la musique : il révolutionne son pouvoir de propagation.
Un mème, quatre principes
On pourrait définir un mème internet selon quatre principes : un message humoristique (il fait référence à un savoir ou à une expérience amusants et partageables par un grand nombre), un médium (courte vidéo, GIF, image et/ou texte ou simplement un message audio), une polysémie (il doit pouvoir être détourné et réinterprété par les membres de la communauté dans laquelle il se diffuse tout en préservant une trace du message originel) et enfin, le plus important, une viralité numérique (il doit atteindre un certain niveau de popularité sur internet, jusqu’à son but ultime : faire partie intégrante de la pop culture).
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De par sa nature essentiellement réplicante et infiniment recyclée, il est impossible de définir une archéologie précise du tout premier mème internet, mais plusieurs sources s’accordent autour du Dancing Baby (ou Baby Cha-Cha), une animation 3D d’un bébé dansant produite en 1996 par une société fabriquant des logiciels d’animation.
Outre de multiples déclinaisons en ligne, ce GIF connaîtra de nombreux détournements dans la pop culture : il apparaîtra en tant qu’hallucinations récurrentes dans la série Ally McBeal, sera cité dans le jeu vidéo FIFA 99 et dans un épisode des Simpson de l’an 2000. Il est même réapparu en 2018 dans le clip 1999 de Charli XCX et Troye Sivan en tant que symbole de la culture des années 1990-2000.
Les mèmes sont devenus un pan immense de la culture contemporaine, un langage universel, celui d’internet
Le mot “mème” va faire son chemin dans la pop culture pour devenir un terme courant au début des années 2010. La liste est infinie, mais parmi les mèmes les plus connus on peut citer : Donald Trump, Grumpy Cat, le Ice Bucket Challenge, Salt Bae, la danse de Drake dans le clip de Hotline Bling, Bob l’éponge, le coup de boule de Zidane lors de la finale de la Coupe du monde 2006, les centaines de challenges chorégraphiques sur TikTok et dernièrement Bernie Sanders, ses grosses moufles à motifs et sa posture boudeuse lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden.
Les mèmes sont devenus un pan immense de la culture contemporaine, un langage universel, celui d’internet. Peu d’études leur sont consacrées pour l’heure (on aurait rêvé que Roland Barthes écrive sur le phénomène), mais il est de plus en plus évident qu’ils exercent une influence grandissante sur la vie en société, que cela soit à travers le débat politique, le marketing ou la réaction à des événements aussi tragiques que joyeux.
Dans son texte publié l’an dernier et intitulé Mèmes, gifs et communication cognitivo-affective sur Internet – L’émergence d’un nouveau langage humain, le chercheur Albin Wagener (à lire sur journals.openedition.org/communication/11061) écrit : “La valeur indicielle forte des mèmes devient capitale pour comprendre les bouleversements interactionnels et sociétaux induits par la communication numérique, non pas en tant que phénomène virtuel propre, mais en tant qu’ensemble de faisceaux interdynamiques qui lient ontologiquement le réel physique et le réel numérique.”