Egérie du L.A. rock et littéraire, Eve Babitz publiait son premier roman, Eve à Hollywood, à 30 ans en 1972. Rails de coke, Chateau Marmont et rock stars. Sauf que le folklore disparaît derrière le ton : furieusement drôle.
En France, il nous a fallu attendre des décennies pour découvrir Eve Babitz (avec Jours tranquilles, brèves rencontres, traduit en 2015, et Sex & Rage, en 2018), figure du L.A. branché des sixties, seventies et davantage, qui posa nue à 20 ans affrontant Marcel Duchamp aux échecs le temps d’une photo devenue mythique, signa des pochettes de disques, eut quelques amants rutilants (Jim Morrison, etc.), et entra en littérature avec Eve à Hollywood – soit en élevant “la légèreté au rang des beaux-arts”, comme l’écrit sa traductrice, la romancière Jakuta Alikavazovic, dans la préface.
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Il y a un art de ne pas en faire tout un foin, de tout tourner en dérision, de jongler avec un certain sens de l’absurde, surtout quand on descend d’une famille juive. Mère artiste, père violoniste pour la 20th Century Fox, et Igor Stravinsky pour parrain, Eve naît en 1943 et publie son premier livre autobiographique trente ans plus tard, en bouleversant toutes les règles : huit pages (!) de remerciements, dont au Beverly Hills Hotel et “aux Didion-Dunne, car ils doivent être qui je ne suis pas”, un mini-album de photos de famille intégré au milieu du livre, des chapitres absurdes (celui intitulé “Cary Grant” fait trois lignes), etc.
Le séisme, dans sa vie, sera l’écriture
On croise l’aristocratique Vera Stravinsky et ses capes de satin violet, de jeunes musiciens (dont un certain James… Jim ?) défoncés dans des chambres du Marmont, des gamines mexicaines tatouées, des gangsters (Johnny Stompanato, l’amant de Lana Turner, qui a failli la draguer alors qu’elle avait 14 ans et sera tué quelques jours plus tard)… Tout se passe mais rien n’arrive vraiment, sinon un long continuum farfelu, étrange, peut-être parce que “si on vit à L.A., les estimations de temps sont délicates, vu qu’il n’y a pas d’hivers. Il n’y a que des tremblements de terre, des fêtes, et certaines personnes.”
Sa première expérience sexuelle ? “Je me suis fait dépuceler après deux canettes de bière Rainier, à 17 ans”
Le séisme, dans sa vie, sera l’écriture. La découverte qu’on peut être une femme, être libre, et parler de choses dites importantes sans les coquetteries et autres pruderies d’habitude attendues des filles. Sa première expérience sexuelle ? “Je me suis fait dépuceler après deux canettes de bière Rainier, à 17 ans”, et plus loin : “On m’avait dit que je saignerais, que ça ferait mal, qu’ensuite je serais une vraie femme. Mais ça ne m’a pas fait mal. Je n’ai pas saigné, et au lieu de devenir une personne mûre, je me suis mise à me demander ce qui se faisait d’autre, dans le même registre que la Rainier.”
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Eve Babitz inspirerait à nouveau, aujourd’hui, une jeune génération d’écrivaines aux Etats-Unis. A 77 ans, elle vivrait toujours en Californie, mais en recluse, depuis un accident de voiture (cadeau de Steve Martin) en 1997 où une partie de son corps brûla – en voulant allumer son cigare à la cerise, elle laissa tomber une allumette sur sa robe inflammable. En 2019, elle revenait enfin à l’écriture pour raconter l’accident dans un texte paru dans Air Mail, la revue de Craydon Carter. A quand un nouveau livre ?
Eve à Hollywood (Seuil), traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Jakuta Alikavazovic, 336 p., 22,50 €
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