L’homme sage (“wise man”) du documentaire américain a-t-il livré son testament avec Belfast, Maine ? Il y a quelques indices troublants. D’abord, Frederick Wiseman revient tourner nostalgiquement dans la région où il est né. Le Maine, c’est la porte à côté du Massachusetts de ses origines. Ensuite, ce portrait d’une ville, Belfast (Maine), vue sous […]
L’homme sage (« wise man ») du documentaire américain a-t-il livré son testament avec Belfast, Maine ? Il y a quelques indices troublants. D’abord, Frederick Wiseman revient tourner nostalgiquement dans la région où il est né. Le Maine, c’est la porte à côté du Massachusetts de ses origines. Ensuite, ce portrait d’une ville, Belfast (Maine), vue sous de multiples facettes, ressemble à une sorte de digest de son œuvre. Pour une fois, Wiseman n’explore pas de fond en comble une institution ou une corporation, mais il picore çà et là des saynètes de la vie professionnelle ou associative, qui ressemblent à des modèles réduits de ses films précédents. Belfast, Maine est donc une sorte de bilan métaphorique d’une carrière. Pour finir de corroborer cette impression un chouïa mortifère, il faut savoir que le film se déroule en automne certes la plus belle saison en Nouvelle Angleterre au moment de Halloween. Les dernières images du film sont encore plus explicites puisqu’il s’agit d’une série de plans fixes sur des tombes.
Cela dit, n’exagérons rien. Belfast, Maine n’est pas une oraison funèbre. Ce qui déroute peut-être, c’est sa disparité. Au lieu de creuser un sujet pendant deux ou trois heures comme par le passé, Wiseman consacre quelques longues minutes à une situation puis passe à une autre. Certes, on ne peut pas parler de zapping. Wiseman reste fidèle à sa rigueur et à son impassibilité coutumières. Ses incursions dans la vie communautaire sont entrecoupées et rythmées par des plans neutres : paysages déserts, intersections de routes, bouquets d’arbres, bateaux dans le port…
Belfast, Maine est donc une œuvre extrêmement diverse, quasi cosmique si l’on peut dire. Sa relative incohérence donne en même temps une grande liberté au spectateur, qui peut « faire son marché ». On note tout de même l’étrange récurrence qu’on peut relier à ce sentiment diffus de la mort des armes à feu et de la chasse. Cela va du dialogue de deux bûcherons chasseurs de daims et vétérans du Vietnam comme les héros de Cimino (dans The Deer Hunter le chasseur de daims , titre original de Voyage au bout de l’enfer) au traitement taxidermique des peaux de renard. Mais le plus étonnant, et le mieux détaillé par le cinéaste, ce sont les scènes d’usine alimentaire où l’on suit de A à Z la chaîne de fabrication de pommes de terre farcies ou la mise en boîte de sardines. Wiseman nous communique sa fascination hypnotique pour les machines avec une telle force qu’on se dit, finalement, qu’il ne peut pas encore avoir fait le deuil de sa passion de filmeur.
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