Avant de devenir un hymne de stade, Seven Nation Army n’était que le morceau d’ouverture du quatrième album des White Stripes, Elephant (2003), et ne devait même pas sortir en single. Retour en arrière sur la chanson la plus célèbre de Jack White, devenue la plus chantée au monde.
C’est l’histoire d’une scie qui rime avec Seven Nation Army. On en connaît le riff autant que la légende : “Le destin de Seven Nation Army, c’est le rêve de tout songwriter. C’est une chanson entrée au Panthéon de la pop. Je plains les groupes qui ne connaîtront jamais cette expérience. Par chance, nous avons connu ça.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Mais le plus intéressant, c’est d’avoir vécu les deux : l’époque où personne ne s’intéressait à nous, et l’époque où tout le monde nous connaît. Pourtant, Seven Nation Army n’a pas été conçue pour être un tube, racontait Jack White aux Inrockuptibles en 2007. D’ailleurs, la maison de disques ne voulait même pas la sortir en single, j’ai dû insister. Ça paraît dingue avec le recul.”
Si la légende imprimée est parfois plus belle plus que la réalité et si l’on pourrait noircir des pages entières sur le caractère visionnaire des labels, l’histoire du tube planétaire des White Stripes n’en reste pas moins exemplaire. En 2003, Jack et Meg White forment le duo garage rock en vogue de Detroit, mais ils sont encore à la traîne de deux autres fameux groupes en The : Strokes et Libertines.
Sept notes au pouvoir d’attraction bientôt universel
Après trois albums en trois ans sur Sympathy for the Record Industry (dont le brillant De Stijl, en référence au mouvement artistique néerlandais auquel appartenait notamment Piet Mondrian), le groupe a signé chez V2 outre-Atlantique et XL Recordings en Europe – deux labels indépendants réputés pour constituer la meilleure rampe de lancement à Elephant, un quatrième lp enregistré en quinze jours à Londres sur du matériel analogique, entièrement produit par l’autocrate Jack White et à paraître au printemps 2003. Quatorze morceaux illustrés par une pochette où Jack en rouge et Meg en blanc, divorcés depuis trois ans, sont assis dos à dos sur un ampli sur fond rouge et noir.
>> A lire aussi : The White Stripes, histoire d’un duo électrique
La chanson d’ouverture ? Seven Nation Army, qui est le titre déformé de The Salvation Army (Armée du Salut), que Jack White prononçait mal quand il était enfant. A l’origine, le morceau – porté dès les dix premières secondes par ce riff de sept notes (mi, mi, sol, mi, ré, do, si) au pouvoir d’attraction bientôt universel – a été composé par Jack pendant les balances d’un concert australien des White Stripes à Melbourne en janvier 2002, avant d’être gardé dans les tiroirs au cas où on le solliciterait pour le générique d’un prochain James Bond (il composera finalement Another Way to Die pour le générique d’ouverture de Quantum of Solace en 2008, interprété avec Alicia Keys, mais c’est un autre sujet). Paru le 7 mars 2003 aux Etats-Unis, un mois avant la sortie d’Elephant, le single Seven Nation Army va bientôt tout emporter sur son passage radiophonique et commercial.
“Ce n’est pas une légende que XL Recordings ne souhaitait pas sortir le titre en single, mais cela va même au-delà puisque Seven Nation Army ne devait même pas figurer sur l’album tellement ce morceau différait du reste”, révèle aujourd’hui Laurent Rossi, alors fondateur et directeur de Beggars France, qui distribue The White Stripes dans l’Hexagone. “C’est directement Jack White qui me l’a confié lorsqu’il est venu à Paris à l’hiver 2003 pour assurer la promo d’Elephant.”
“Quand il a été décidé que Seven Nation Army serait le premier single extrait de l’album, Jack n’était pas plus convaincu que ça. Dès l’écoute du disque, dont je rappelle que la version promo n’existait qu’en vinyle, je me souviens avoir été relativement traumatisé par ce morceau. Impossible de m’en détacher. Mais en tant que label, j’aurais préféré un single plus facile d’accès pour le placer en radio, sourit-il. Car autant dans sa structure que par l’absence de refrain, c’est un single d’un format absolument atypique. Seven Nation Army n’est finalement qu’une boucle et c’est le riff qui fait office de refrain. D’ailleurs, ce riff de guitare sonne étrangement comme un son de basse.”
“Le meilleur mash-up est celui mixant Seven Nation Army et Bring the Noise de Public Enemy”
“Il a fallu patienter huit mois avant que le titre, déjà joué par Europe 2 (future Virgin Radio, ndlr), Ouï FM, FIP ou France Inter, ne rentre en playlist sur les autres radios nationales comme NRJ, sous la pression à la fois du public plébiscitant l’album et des DJ electro qui incluaient Seven Nation Army dans leurs sets. Ce qui explique d’ailleurs le nombre incalculable de bootlegs, de plus ou moins bon goût, sur le marché – le meilleur mash-up est celui mixant Seven Nation Army et Bring the Noise de Public Enemy. Le titre est ainsi un classique de soirée, ce qui est rare pour un groupe de rock.”
A l’aune des concerts vus en France ou en Angleterre sur les précédents albums, Laurent Rossi pressentait qu’il allait se passer quelque chose autour des White Stripes, mais personne ne pouvait imaginait une telle déflagration. Seven Nation Army sera couronné de la meilleure chanson rock aux Grammy Awards. En bon control freak, Jack White refusera tout remix ou toute synchronisation publicitaire de son tube phénoménal tant que le groupe sera en activité (on ne compte plus depuis les pubs l’ayant utilisé).
En revanche, Seven Nation Army lui échappe définitivement à l’automne 2003 quand, un soir de Ligue des champions, les supporters du FC Bruges chantonnent en chœur la mélodie de Seven Nation Army (“popopopopopopo”) dans les tribunes du stade San Siro à Milan, après un but de leur équipe marqué contre l’AC Milan. Depuis ce match, l’air du single des White Stripes va se propager dans les stades du monde entier. Au point que l’Italie en fera son hymne pendant son parcours victorieux à la Coupe du Monde 2006.
Trop occupé, Michel Gondry décline la réalisation du clip
Pressenti pour doubler la mise après la vidéo tout en Lego de Fell in Love with a Girl (2002), Michel Gondry décline, faute de temps, la réalisation du clip de Seven Nation Army. Le producteur anglais d’Alex & Martin (duo de vidéastes en vue, qui a déjà collaboré avec Cassius, Air ou Phoenix) saute sur l’occasion pour proposer aux White Stripes l’idée du triangle inspiré par l’affiche d’Orange mécanique du peintre Philip Castle.
“Quand on a écouté Seven Nation Army, on a aussitôt été enthousiasmés par ce single en forme de coup de génie, se souvient Alex Courtès. J’avais déjà réfléchi à ce système des triangles superposés pour le clip d’une autre artiste, mais cette idée graphique et visuelle me semblait pleinement correspondre à l’énergie de Seven Nation Army, tout en adaptant les codes couleurs (rouge, noir, blanc) des White Stripes. A l’écran, la courbe de sons devient ainsi une courbe d’accélération : plus il y a du volume, plus il y a de mouvement.”
“J’ai aussi un clin d’œil au film Jason et les Argonautes (1963) de Don Chaffey à travers les squelettes. Le tournage s’était effectué à Londres, de manière à la fois très fluide et rapide. Jack et Meg avaient été très professionnels, acceptant volontiers nos propositions de cadrage et d’éclairage.”
“Dès que Jack prenait sa guitare, c’était le roi du rock devant nous. Ils donnaient tout à fond et on a même fini en avance, ce qui arrive rarement sur les tournages. La seule correction qui nous a été demandée par le groupe au montage, ce fut d’insérer l’image d’un éléphant en rapport au titre de l’album. On a tout terminé la veille de la diffusion du clip sur MTV.”
Un standard autant repris en karaoké que par les pires groupes du monde
Le réalisateur admet que, même en écoutant Seven Nation Army des centaines de fois pour les besoins du montage, il ne s’est jamais lassé du titre, sans soupçonner évidemment sa dimension planétaire. “Participer à une chanson qui est entrée dans l’histoire de la culture populaire, c’est toujours gratifiant. Ça fait partie de mon claim to fame avec les casques designés de Daft Punk et les clips de U2.
“Je reconnais aussi que c’est aussi un immense coup de bol d’être associé à la carrière des White Stripes. Comme disait Yarol Poupaud, c’est quand même Seven Nation Army qui a détrôné Smoke on the Water dans les magasins de guitares.”
De mémoire neuve, et sans oublier Smells Like Teen Spirit de Nirvana en 1991 ni Wonderwall d’Oasis en 1995, on n’a pas souvenir d’un morceau qui, depuis les années 1990, est ainsi devenu un hymne de stade au point de devenir un standard universel, autant repris en karaoké que par les pires groupes du monde (de Punk Division à Ben L’Oncle Soul). Ou comment un riff de sept notes a changé définitivement le destin des White Stripes.
{"type":"Banniere-Basse"}