Chez Thaddaeus Ropac, l’artiste norvégien dédie sa nouvelle exposition à Elizabeth Wurtzel, l’autrice de Prozac Nation décédée il y a un an. Une approche intimiste pour souligner une affinité et conjurer une rencontre manquée.
Elizabeth Wurtzel publie le livre qui la rendra célèbre lorsque Bjarne Melgaard entame sa carrière de peintre. Quand Prozac Nation paraît en 1994, le Norvégien vient à peine de terminer ses études. Tous·tes deux, alors, ont 27 ans. Plus tard, il s’envolera pour New York, où il exposera pour la première fois avant de s’y installer. Mais pour l’instant, avant les années 2000 qui le verront imposer son style néo-expressionniste empreint du sentimentalisme des grands provocateurs, il se plonge dans la sensation littéraire du moment.
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A l’époque, ce récit à la première personne, l’un des premiers à traiter ouvertement de la dépression, fait l’effet d’une bombe. Sa réception est mitigée, mais déjà, Elizabeth Wurtzel est perçue comme l’une des voix de la génération X, du fait de son sujet et de son style, le sien personnel (le grunge fait littérature) et celui qu’elle distille par écrit (la littérature de confession).
Elizabeth Wurtzel et Bjarne Melgaard ne se sont jamais croisé·es – bien que partageant ces dernières années le même psychothérapeute –, et pourtant, les pratiques de l’une et de l’autre semblent entremêlées : la même franchise d’écorché vif, la même délicatesse camouflée par les fards (empâtements contre smokey eye), le même flirt avec les extrêmes également, pratiqués, écoutés ou ingérés, comme tentative à tout prix de réveiller les sens émoussés au sein de sociétés aseptisées.
Longtemps, en effet, celui-ci aura nourri l’idée de faire entrer l’écrivaine qui l’aura le plus marqué dans son panthéon d’icônes
Certes il y a là, au début, un effet de contemporanéité, de préfiguration de certains signes qu’il·elles surent tous·tes deux entendre tout autant qu’amplifier, mais également une affinité désirée, de la part du peintre tout du moins. Longtemps, en effet, celui-ci aura nourri l’idée de faire entrer l’écrivaine qui l’aura le plus marqué dans son panthéon d’icônes, où se côtoient la Panthère rose et Edvard Munch, mais aussi Catherine Breillat, figure centrale de sa dernière exposition parisienne à la galerie Thaddaeus Ropac en 2015.
Totems bienveillants
Elizabeth Wurtzel décédera le 7 janvier 2020, coupant court à l’idée d’une collaboration. Ce sera à la place un hommage, rendu d’autant plus pressant par la relecture de ses écrits pendant le confinement, qui fait ressentir en partage l’isolation et la détresse comme malaise social de la vingtaine, mais aussi de ces années 2020 qui s’ouvrent sur un vide béant. Avec Elisabeth and Me, l’artiste expose un ensemble de nouvelles peintures au format intimiste.
Les Elisabeth and Me (2020), déclinant ces mots au fil de cœurs brisés, de doubles portraits de visages hiératiques aux pupilles exacerbées, ou encore d’étranges danses macabres
Celles-ci sont présentées sur trois papiers peints composés par le designer norvégien Martin Kvamm à partir de citations de Prozac Nation, mais aussi de photographies, de photogrammes et de dessins où s’entremêlent, aux représentations de l’autrice, d’autres icônes générationnelles, comme Lydia Lunch ou Heather Locklear. Sur ces fonds sont accrochées les trois séries principales : une série de petits autoportraits péniens flanqués de la signature Bjarne 2020 en lettres cursives ; une seconde, les Cat/Dog Walk (2020), où l’on retrouve les protagonistes hybrides, mi-animal, mi-humain, caractéristiques de son vocabulaire ; et enfin les Elisabeth and Me (2020), déclinant ces mots au fil de cœurs brisés, de doubles portraits de visages hiératiques aux pupilles exacerbées, ou encore d’étranges danses macabres où l’on voit un protagoniste (Elizabeth) en pousser un autre en chaise roulante (Me) jusqu’au bord de l’abîme (You). Autant de totems bienveillants qu’adresse l’artiste en guise d’objets transitionnels à la génération 2020, elle qui devra à son tour apprivoiser, caresser et promener ses démons internes.
“Elisabeth and Me” jusqu’au 13 février, galerie Thaddaeus Ropac, Paris Marais
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