Depuis son XVIIIe parisien, le rappeur C.Sen envoie un recueil de textes errants éclairé par la lueur pâle d’un réverbère. Critique et écoute intégrale.
C.Sen ne raconte pas la grande vie parce qu’il ne la côtoie pas, ne partage pas la vantardise des héros parce qu’elle ne colle pas avec son parcours. Depuis toujours, ce rappeur de 31 ans leur préfère les récits nuancés d’une vie qui sonne plus juste, quitte à ce qu’elle soit plus glauque. Adossé au crew 75018 Beat Street, il est de ceux qui passent leurs nuits à regarder la lune se refléter dans le caniveau, fument à s’en faire sauter la cervelle et n’ont jamais lâché le micro malgré les portes fermées et tout ce rap jeté dans le vide.
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“Du hip-hop la race”, comme il le dit, un rap sans but, presque pour le geste. C’est dans cette existence trouble que s’enracine Correspondances, un disque touchant pétri de visions nocturnes, d’émotions contraires et de remords intimes. Ph(r)ases mélangées, associations d’idées, de sons ou de phonèmes, le texte fonctionne ici comme autant de haïkus qui cristallisent impressions, odeurs, instants, femmes, boisson, fumée, graffiti, police.
[attachment id=298]Dans un Paris immense et tutélaire, théâtre grandiose et dégueulasse de ces contes urbains, cette versification puissante révèle la poésie là où on la croyait disparue, dans la fumée d’un joint d’herbe ou sur le rebord du trottoir. Le regard du rappeur y redonne vie à des résidus de nos existences qui jonchent le pavé, “le larfeuille vide d’un naïf, des pigeons en morceaux” (Demande à la poussière), réinvente ses amours erratiques en un hymne aux femmes que les hommes comprendront (Le Couloir), avant de se perdre encore en “tirant mes dix taffes dans ce quartier où tapinait Edith Piaf”.
Si la diction manque parfois de précision face au boom-bap régulier qui cogne en dessous, le verbe conserve sa lumière sous ce souffle nerveux de taggueur en fuite, mais prend un envol inédit lorsque le rythme s’efface sous les pianos élastiques d’Anti-héros ou de J’te dirais, qui referme ces Correspondances sans destinataire. Réalisé par Walter Wallace et Oliver Dax (Dax Riders), ce livre sonore illustré par le dessinateur Jean Turner est une oeuvre nocturne, sans être lunaire, un poème en Stan Smith et bas de survêt traversé d’amours éthyliques, d’espoirs errants et de ces reproches qu’on se fait à soi-même en rentrant, une fois de plus, à l’aube. Et toujours ce son lourd.
Album : Correspondances (en téléchargement ; voir le site de C.Sen pour édition collector livre + CD)
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