Après Chaos calme, il a décroché pour la seconde fois le prix Strega, le Goncourt italien pour Le Colibri. Dans ce nouveau roman, Sandro Veronesi transforme la vie de son héros en une épopée pleine de surprises, intimes ou collectives.
Voilà près de trente ans que Veronesi publie, obtenant deux fois le Strega, l’équivalent du Goncourt, pour Chaos calme, en 2006, et en juillet dernier pour ce Colibri. Un roman plein du charme des précédents, des Vagualâmes (Robert Laffont, 1993) jusqu’à Terres rares (Grasset, 2016), ces textes drôles comme des comédies et poignants comme des tragédies. Ici, la vie du héros, Marco Carrera, peut être vue comme une accumulation de coïncidences abracadabrantes ou comme une longue leçon de survie.
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Ainsi, Le Colibri n’est pas seulement un grand roman sur les combats intimes d’un homme, une analyse des mensonges dont la société l’avait entouré et qu’il apprend à abattre l’un après l’autre. Le Colibri est aussi un texte plein d’humour où Sandro Veronesi attrape son héros sans façon et le projette à travers le siècle.
Le colibri est le surnom donné à Marco Carrera enfant, car il est plus petit que la moyenne. Adulte, devenu médecin, marié et père d’une fillette, il mène une vie tranquille quand le psychanalyste de sa femme vient inopinément lui annoncer un malheur possible. Prochain. Certain.
Il s’agit moins de réalisme que de littérature
Veronesi tient la tête de son personnage hors de l’eau et construit ingénieusement un récit à la fois intime et sociétal. Il montre la résistance d’un homme face à l’adversité tout en l’inscrivant de plain-pied dans la société italienne de ces soixante dernières années, se permettant même une petite excursion en 2030. L’auteur intègre à son texte plusieurs événements qui ont marqué la mémoire collective, comme la crue de l’Arno en 1966 ou le tremblement de terre en Haïti en 2010, et observe d’un œil de sociologue la transformation des rues de Rome, ou celle des paysages du littoral toscan.
Le·la lecteur·trice est parfois en avance sur le héros, d’autres fois découvre les événements en même temps que lui, ou apprend après coup un secret sur lequel il s’est tu durant des années
La vie de Marco démarre comme celle de Veronesi à la fin des années 1950. L’auteur la dévoile fragment par fragment, dans le désordre et selon différents modes narratifs. A la voix d’un narrateur omniscient s’ajoutent courriers, courriels, textos, conversations téléphoniques. Le·la lecteur·trice est parfois en avance sur le héros, d’autres fois découvre les événements en même temps que lui, ou apprend après coup un secret sur lequel il s’est tu durant des années.
Avec humour, l’auteur s’introduit parfois dans le récit pour en bousculer toujours plus la chronologie : “Comment raconter le surgissement d’un grand amour quand on sait qu’il va finir en foire d’empoigne ?” Car il s’agit moins de réalisme que de littérature, et Veronesi s’amuse, joue avec des références culturelles qu’il liste en fin de volume. Il dissimule ainsi dans son texte une phrase de Mario Vargas Llosa, des remakes de scènes tirées d’un film de Fellini ou d’une nouvelle de Pirandello.
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La famille et les enfants
On plonge donc dans l’histoire de Marco Carrera, son enfance, son adolescence, son amour éperdu pour une fille qu’il n’épouse pas, son indécision constante. Comme d’autres héros de Veronesi, Carrera est toujours pris de court par ce que la vie lui réserve, décès, ruptures ou autres bouleversements. Son passé cache toutes sortes de secrets, un frère mutique envolé au loin, une sœur trop tôt disparue.
Car la famille est le thème de prédilection de Veronesi, lieu par essence d’événements incompréhensibles comme lorsque Adèle, la fille de Carrera, affirme à 3 ans qu’un fil dans son dos la relie au mur le plus proche. Une certitude que ses parents prennent pour une lubie, et qui va pourtant provoquer une cascade de bouleversements.
Son héros aurait peut-être pu prévoir ce qui allait lui arriver, mais il était trop occupé à vivre. Parfois, des années après, il s’aperçoit de ses erreurs
Veronesi interroge en fait ce que nous nous cachons à nous-mêmes. Son héros aurait peut-être pu prévoir ce qui allait lui arriver, mais il était trop occupé à vivre. Parfois, des années après, il s’aperçoit de ses erreurs, ainsi lorsqu’il se rend compte qu’il n’aurait pas dû épouser Marina : “Elle lui avait toujours menti, c’est vrai, et c’est mal, très mal, parce que le mensonge est un cancer qui se propage, s’enracine et se confond avec la substance même qu’il corrompt – mais lui, il avait fait pire. Il l’avait crue.”
Comme dans Chaos calme, le héros élève seul sa fille Adèle, puis les aléas de la vie vont le conduire à devoir s’occuper de sa petite-fille, Miraijin. Toujours, chez Veronesi, ce sont les enfants qui montrent aux adultes le chemin à suivre, les aident et les guident. Chacune à leur manière, Adèle et Miraijin représentent l’avenir, féministe et ouvert sur le monde, car Veronesi est, aussi, un auteur engagé.
“Le Colibri” (Grasset), traduit de l’italien par Dominique Vittoz, 384 p., 22 €
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