En 1999, Christine Angot débutait L’Inceste par une phrase inspirée de l’incipit d’A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie d’Hervé Guibert. Elle retrouve son “timbre” dans le livre de Mathieu Lindon, Hervelino.
“Le livre de Mathieu Lindon est magnifique. C’est l’avis des Inrockuptibles. C’est le mien aussi. Il n’est donc pas question pour moi de le prendre comme une occasion de parler d’un autre écrivain.
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Tout est dans le titre. Hervelino. Hervé et moi. Moi et Hervé. Hervé Guibert a été un être humain. Moi, Mathieu Lindon, j’en témoigne. Je le sais. Il avait un corps. Il traversait les jardins de la Villa Médicis. On mangeait dans des restaurants. On en avait toute une liste. Je ne l’appelais pas Hervé. Je l’appelais Hervelino. Rimbaud, Matinée d’ivresse : “Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.” Oui. D’accord. Il y a quand même des parts réservées. Des parts, des zones personnelles. Pas privées, personnelles.
Des zones de vie dans des jardins, dans des restaurants, dans des rues, des histoires qui restent, des coups de fil qui résonnent dans les pièces. La vie des écrivains existe en tant que vie. Une vie à soi, par zones, par flaques, par carrés, par résidus, par tranches, par diminutifs, Hervelino, c’est moi, Mathieu, qui l’appelais comme ça. Il l’a rencontré dans l’appartement de Michel Foucault, il est allé vers lui, il était seul dans un coin, il a dit : Alors, Hervé Guibert, vous êtes puni ? Il lui a dit ça tout de suite.
La graphie, la voix écrite. Qui confirme. La trace. Ça a existé. Ça a été. C’était. Ça a bien existé. Ça a eu lieu. Ça a bien eu lieu. J’y étais. Ce n’est pas un récit. Ça a vibré. Ça a eu lieu
Hervelino. Les restaurants où on allait. La façon dont la vie passait. Les escaliers qu’on prenait. Ce qui nous faisait rire, les sonneries du téléphone, je savais que c’était lui qui appelait, rien qu’à la vibration du son dans la pièce, pas besoin des techniques futures, le nom s’affichait dans ma tête. Les flots de souvenirs reviennent. Mathieu a été amoureux d’Hervé. Il l’écrit. Les gens disaient quand il était malade, qu’on le voyait de loin avec son chapeau rouge, Mathieu corrige : On le voyait avant aussi. La beauté d’Hervé Guibert.
La voix. A la fin du livre, il y a les fac-similés de ses dédicaces. La graphie, la voix écrite. Qui confirme. La trace. Ça a existé. Ça a été. C’était. Ça a bien existé. Ça a eu lieu. Ça a bien eu lieu. J’y étais. Ce n’est pas un récit. Ça a vibré. Ça a eu lieu. C’est. Les preuves. Les écrits. Les dédicaces, à chaque première page du livre, chaque fois qu’un nouveau paraissait. Petits mots qu’on se laisse. Rien qu’à toi. Mon chéri. Mon loup. Mathieu mon amour.
Je ne sais pas si Hervé Guibert a influencé quelqu’un. Personne n’influence personne. Personne n’admire personne. Chacun essaie de faire son truc à soi parce qu’il a vu, il a entendu, il était là, il en est la preuve vivante, et ça vibre. Le timbre.
Mathieu Lindon a dû se dire : ok, j’essaie, j’essaie de reconstituer, de retrouver, d’aller chercher, dans ma mémoire, dans les sous-sols de Rome, les fouilles archéologiques, des mots qui reviennent, des lambeaux, qui prouvent encore qu’il a existé, mon ami, avant de se retrouver puni dans le papier, entre les pages d’un livre, papillon sous vitrine. Il y avait de la vie. Ça respirait. Il l’écrit. Il fallait que quelqu’un le fasse. Il fallait qu’un ami lui sauve la vie. Voilà mon chéri. C’est fait.”
Dernier livre paru : Un tournant de la vie (Flammarion, 2018)
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