Dans son livre “Sans alcool”, la journaliste Claire Touzard retrace son arrêt de la boisson et défend l’hypothèse qu’une sobriété radicale serait la promesse d’un progrès social.
Depuis ses 17 ans, elle buvait « beaucoup beaucoup trop ». Le 31 décembre 2019, la journaliste et autrice Claire Touzard décidait de mettre un terme à cette longue amitié empoisonnée avec l’alcool. Aujourd’hui, son ouvrage Sans alcool retrace son cheminement, ses réflexions sociologiques et féministes, et défend une vision du monde à la lisière d’un straight edge punk réactualisé.
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Quel rapport les Français·es entretiennent-il·elles avec l’alcool ?
Un rapport historique, économique, familial, viscéral. Et donc, un rapport ambigu et souvent malsain. En France, être alcoolique n’est pas une tare : c’est être irrévérent, jouisseur, bon Français. Dans l’imaginaire collectif, c’est cool ; c’est être Gainsbarre plutôt que ces gros cons de culs-bénits américains. Mais brandir sans cesse cette image d’Epinal du Français picoleur et jouisseur face à la morale, c’est cacher une vérité : l’alcool, ce n’est pas seulement le plaisir ou l’art de la table, c’est aussi la violence, l’accélération des rapports de domination, la maltraitance.
Pour moi, les Français qui crient au discours liberticide quand on parle de sobriété sont les mêmes qui défendent le droit d’importuner les femmes dans la rue : ce sont des hétéros blancs graveleux qui pensent que seuls le sexe et la picole sont subversifs, car ils ne savent pas imaginer l’avenir dans le respect et la différence. Ils ne savent pas comment se réinventer et ont peur de perdre en privilèges. Cette imagerie de la France vieillotte et sexiste que l’on se trimballe depuis des siècles, il faut la dépasser, car elle n’est pas vraiment porteuse de progrès social. Au contraire, elle continue à générer une culture violente. La France a autre chose à offrir que la séduction grasse et la bringue, il me semble.
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Quel lien avez-vous établi entre les femmes et l’alcool ?
C’est lié à mon expérience personnelle. J’ai découvert que j’ai souvent utilisé l’alcool pour m’émanciper. Quand on est une femme, et surtout une jeune femme, l’alcool permet de prendre de la place, d’occuper l’espace sonore, de montrer une image de soi moins lisse : plus fêtarde, gueularde, pochetronne. Je crois que beaucoup de femmes ont utilisé l’alcool pour casser les codes usuels du féminin, mais aussi pour lâcher les chiens, par colère, dépit, rage, face à l’injustice du système patriarcal.
Ces dernières années, la pop culture s’est emparée de cette symbolique de l’alcool comme geste quasi féministe et politique. On peut prendre l’exemple d’Amy Schumer, posant avec une bouteille sur l’affiche de son film (Crazy Amy de Judd Apatow, sorti en 2015 – ndlr) : c’est un geste de rébellion, presque militant. Nombre de femmes modernes ou considérées comme marginales dans les séries boivent seules chez elles. Le problème, c’est que cela envoie, en creux, un message ambivalent : la femme moderne qui picole pour montrer son indépendance se fait en vérité beaucoup de mal en même temps. Au lieu de maltraiter le patriarcat, elle se maltraite elle-même.
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Avez-vous remarqué une augmentation du nombre de gens sobres autour de vous ?
Oui, énormément. Je pense qu’on est dans une ère de grands combats, de réflexions, de nouvelles pensées et d’éveil, tout cela s’emboîte mal avec la picole à outrance. Boire, c’est oublier. Aujourd’hui, on a envie d’être connecté à l’instant, de trouver des réponses, d’avancer. Le mot sobriété va mieux à l’époque, car il signifie éveil, prise de conscience. Et puis dans une ère où l’on décortique chaque élément qu’on ingère, où l’on parle écologie, bien-être social, on ne peut pas fermer les yeux sur une pratique souvent nocive.
On commence à réaliser que l’alcool ne fait pas partie des éléments positifs qui vont aider à rebâtir l’époque. C’est comme l’avant-MeToo : sa toxicité est juste là, devant nos yeux, il suffit que l’on commence à mettre des mots dessus. Le confinement, entre autres, a mis tout le monde seul face à la bouteille. Plus d’excuse de soirées, de cafés. On s’est retrouvé nez à nez avec sa consommation, cela a fait réfléchir tout le monde.
Sans alcool (Flammarion), 336 p., 19,90€
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