En faisant d’un immigré sénégalais incarné par Omar Sy l’héritier spirituel du héros de Maurice Leblanc, Lupin : dans l’ombre d’Arsène rehausse d’un éclat contemporain les enjeux sociaux du feuilleton d’aventures policier.
Adolescent, Assane Diop a vu sa vie basculer lorsque son père, employé de maison auprès d’une famille richissime, s’est suicidé après avoir été accusé à tort du vol d’un précieux collier. Vingt-cinq ans plus tard, c’est en homme aux multiples talents qu’il cherche à le venger. Dans sa poche, un recueil des aventures d’Arsène Lupin, ultime legs paternel à valeur de modèle. Dans son viseur, la vente aux enchères du fameux bijou sous la verrière de la pyramide du Louvre.
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Coproduite par Gaumont et Netflix, cette variation contemporaine sur les aventures du “gentleman cambrioleur” créé par Maurice Leblanc affiche clairement ses ambitions : s’inscrire dans la tradition populaire des feuilletons d’aventures policiers à la française, aujourd’hui moribonde, et propulser l’une des figures majeures de la littérature hexagonale sur la scène internationale.
L’essence symbolique d’une figure littéraire
Il n’est à ce titre pas surprenant de voir Louis Leterrier, transfuge de l’écurie Besson rompu aux productions hollywoodiennes, assurer la réalisation des trois premiers épisodes (les seuls auxquels nous ayons eu accès au moment d’écrire ces lignes), ni d’y voir Omar Sy, “acteur préféré des Français” désormais connu sur le marché américain, endosser les habits de ce personnage mythique.
Ou plutôt embrasser son héritage, comme l’indique le sous-titre de la série – apparemment insuffisant pour dissiper la cohorte de commentaires racistes, indignés qu’un acteur noir puisse interpréter un personnage conçu comme blanc, qui s’est abattue sur le projet avant même sa diffusion. C’est pourtant par ce pas de côté scénaristique que Lupin, derrière sa facture un peu mécanique, trouve sa première singularité.
Les écrits de Maurice Leblanc y sont revisités d’une façon ludique et métatextuelle
En choisissant de ne garder de la figure littéraire qu’une essence symbolique, ses créateurs, George Kay et François Uzan, font de son élévation au statut de mythe le préalable à une redistribution démocratique de son esprit – pratique courante dans l’univers des comics, mais moins répandue sous nos latitudes.
Constituant à la fois l’inspiration de la série et le credo de son personnage, les écrits de Maurice Leblanc y sont revisités d’une façon ludique et métatextuelle, glissant du réel de la writing room aux mains fictives d’Assane, architecturant ses exploits ou aiguillant l’enquête des policiers lancés à ses trousses.
Assane dans l’ombre d’Arsène
Tour à tour charmeur et hanté, impulsif et nonchalant, Omar Sy incarne le loup solitaire avec une prestance indéniable, au risque d’estomper des rôles secondaires moins bien dégrossis. Face au caractère insaisissable du gentleman cambrioleur, une autre idée surgit en germe, que seule la vision de la saison entière pourrait accréditer : mettre en scène l’ombre d’une ombre, n’est-ce pas la meilleure façon de la faire entrer en pleine lumière ?
Mais revenons à nos cambriolages. Du vol d’un artefact sous haute sécurité à l’enlèvement d’un capitaine de police en passant par une filouterie carcérale, les exploits d’Assane constituent logiquement le nœud dramatique de chacun des épisodes.
Construits comme des orfèvreries millimétrées tordues par le montage (figuration anticipée du coup alors qu’on en planifie les étapes, relecture d’une scène pour en exhumer la pirouette secrète), ils mettent à profit tout l’arsenal de talents du personnage et de son modèle (déguisement, vol à la tire, évasion…) tout en y agrégeant quelques touches de modernité (falsification d’une page Wikipédia ou usage du deepfake).
Malgré un réel souci d’écriture, on regrette que la mise en scène fonctionnelle de Leterrier se tienne un peu en deçà des enjeux du récit, notamment lors de ces moments de bravoure dont elle peine à exprimer toute la virtuosité illusionniste.
C’est réellement l’angle d’attaque des cambriolages qui les rend pertinents : si Assane évolue dans l’ombre d’Arsène, il est également une ombre de par son statut d’immigré sénégalais. C’est en retournant cette assignation en arme qu’il perce les failles des systèmes auxquels il se confronte, pénétrant le cœur du Louvre par l’accès des agents d’entretien ou trompant la vigilance policière en uniforme de livreur de repas à domicile. En s’appropriant à son avantage des processus de domination profondément ancrés, Assane Diop, transfuge de classe à la versatilité sociale, renoue finalement avec la dimension anarchiste de son modèle.
Lupin : dans l’ombre d’Arsène sur Netflix
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