Contaminé par la junk culture, des séries télé aux séries Z, Le Livre sans nom dynamite le genre du roman noir à coups d’humour et de parodie pop. Et si son auteur anonyme n’était autre que Quentin Tarantino ?
Eparpillées façon puzzle, dynamitées, les conventions du roman noir. Le genre, ultracodifié et balisé, se renouvelle en allant puiser hors de ses frontières, assouvissant son besoin de sang neuf à la source de la culture pop : série B, voire Z, télévision, jeux vidéo… Le noir prend des couleurs, le polar se fait pop. Comme si, enfin débarrassé de l’étiquette “paralittérature” ou “sous-genre”, il pouvait s’émanciper d’un cadre hyperdélimité pour s’approprier la junk culture sans complexe et avec un second degré jouissif : plus besoin d’apporter les preuves de sa respectabilité, ni d’un alibi intello pour être reconnu.
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Comme si, aussi, les inspecteurs et autres détectives à la Marlowe finissaient par se sentir à l’étroit dans leur éternel imper défraîchi, à fréquenter toujours les mêmes rades enfumés pour siroter invariablement un bourbon en compagnie de femmes fatales clonées. Sûre de son succès – polars et romans noirs figurent en bonne place dans les listes de meilleures ventes de livres et en cela, font partie intégrante de la culture pop(ulaire) –, la littérature policière peut s’aventurer sur de nouveaux terrains, flirter avec d’autres genres ou s’en inspirer, juste retour des choses après avoir été à l’origine de tant de films ou de séries télé.
A lui seul, Le Livre sans nom cristallise cette tendance du polar contemporain. Déjà parce que ce roman a été précédé d’un vrai buzz sur Internet, rite de passage quasi-obligé pour tout “produit” culturel estampillé “pop”.
David Bowie ? Le prince Charles ?
L’anonymat de son auteur a nourri les rumeurs les plus folles sur des forums, les lecteurs-geeks spéculant à mort sur l’identité de l’écrivain-mystère : David Bowie ? Le prince Charles ? A peu près tout y est passé. Mais un nom revient avec plus d’insistance, celui de Quentin Tarantino. Outre des références évidentes au réalisateur de Pulp Fiction, comme des allusions à True Romance, dont Tarantino a signé le scénario, c’est surtout le côté citations à gogo et hybridations explosives qui, dans le livre, renvoie à l’univers du cinéaste.
En quelque 400 pages, Le Livre sans nom offre une représentation panoptique de la pop culture et fait défiler, en vrac, Elvis Presley, Batman, Terminator, Star Wars, Buffy contre les vampires, Freddy, X-Files… La trame narrative se retrouve presque noyée sous les références et part dans tous les sens : Santa Mondega, ville d’Amérique du Sud qui ne figure sur aucune carte, abrite les pires ordures de la planète. Parmi elles, le Bourbon Kid, un serial-killer qui a commis un massacre il y a cinq ans et s’apprête à en perpétrer un autre.
A cette intrigue digne d’une série Z s’ajoute une histoire de pierre magique qui menace le monde, des moines plus forts que Bruce Lee en arts martiaux, un jeune couple version branque de Bonnie and Clyde, des vampires et une victime amnésique qui, à la façon d’Uma Thurman dans Kill Bill, sort d’un long coma et compte se venger de son bourreau, le Bourbon Kid.
Pas réservé aux ados attardés
Un télescopage de polar et de fantastique au milieu duquel se débat l’enquêteur Jensen, “inspecteur en chef des enquêtes surnaturelles”, envoyé par les Etats-Unis à Santa Mondega afin de faire la lumière sur la série de meurtres survenus dans cette ville du vice. Pour cet ersatz de Fox Mulder, la vérité est forcément ailleurs. En l’occurrence dans un livre sans titre, signé d’un auteur anonyme, que toutes les victimes du Bourbon Kid ont emprunté (un peu comme dans The Ring) avant de mourir, atrocement mutilées.
[attachment id=298]Tout cela pourrait paraître extrêmement embrouillé, voire bordélique. Sauf que le roman repose sur une écriture très feuilletonnante et un découpage parfaitement rythmé, autre emprunt aux séries télé. Chaque chapitre constitue une sorte d’épisode qui focalise sur un personnage spécifique et le livre progresse par niveau, comme dans un jeu de combat du type “beat them all” (Streets of Rage ou Double Dragon) : les ennemis se font de plus en plus féroces, jusqu’au final fight contre le “boss”.
Malgré les apparences, Le Livre sans nom n’est pas réservé aux ados attardés, aux vieux nerds, sauf à le prendre au premier degré – l’exagération est pourtant évidente, l’aspect hénaurme assumé. Comme chez Tarantino, la violence hyperbolique a toujours un côté parodique et l’hémoglobine déversée sent le ketchup à plein nez.
Plus drôle que gore, le roman joue l’humour, surtout à travers les dialogues très cinématographiques, nourris de répliques cinglantes. Cette distance ironique instaure une connivence avec le lecteur et, davantage que le suspense ou les rebondissements, ce sont les multiples clins d’oeil à une culture commune, citée, samplée et remixée, qui donnent du relief à ce roman foisonnant, noir et pop à la fois. Un avatar du polar, mutant et décalé, qui régénère le genre.
Le Livre sans nom, anonyme (Sonatine), traduit de l’anglais par Diniz Galhos, 460 pages, 21 €
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