Le portrait aux traits sobres et élégants de l’identité suspendue d’un jeune Iranien homosexuel en transit à Veracruz.
Naufragé entre deux terres, l’Iran dont il vient et l’Europe à laquelle il rêve, le jeune Ramin est prisonnier d’un paysage dont il ne connaît ni la langue ni les codes. En transit dans une ville portuaire du Mexique, sas à ciel ouvert précédant la reprise hypothétique de son voyage, l’identité du jeune homme se retrouve comme fissurée, suspendue.
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Pour son second long métrage, la réalisatrice iranienne Bani Khoshnoudi pose un regard étonnamment doux sur cet état intermédiaire entre mélancolie et espoir, entre l’assimilation contrainte d’un espace et l’impatience de le quitter. C’est pourtant sur cette terre qu’il n’a jamais souhaité fouler que Ramin devient un peu plus lui-même. C’est tout le paradoxe de l’identité que le film relate : orphelin de chez lui, Ramin peut enfin s’émanciper et devenir qui il est.
La persistance d’un espoir
De la vie antérieure du jeune homme, Luciérnagas ne dévoile presque rien, refusant toute psychologisation à outrance de son personnage. Juste des indices qui en disent tant : le visage d’un amant resté en Iran, avec lequel la relation s’effrite malgré les conversations Skype, et les cicatrices dans le dos révélées lors d’une baignade, sceau indélébile d’un séjour en prison et des crimes commis par l’Iran contre la communauté homosexuelle.
Quel choix beau et judicieux que ce titre (Luciérnagas, les lucioles en français), tant la forme du film épouse la fragilité du coléoptère comme la lumière qu’il émet. La luciole, c’est cette petite chose qui n’a l’air de rien, qui ne se remarque pas et puis qui, soudain, d’un geste magique, s’allume.
Parce qu’il embrasse un visage avant un sujet, qu’il privilégie l’élégance et la sobriété d’un regard sur l’exil à un tableau édifiant conditionné pour rafler les prix de festivals internationaux, Luciérnagas est ce film minuscule qu’il faut protéger. Pour beaucoup, son vol passera inaperçu. A ceux qui l’auront remarqué, il laissera sa précieuse empreinte.
Dans un célèbre papier de 1975 intitulé “L’Article des lucioles”, Pier Paolo Pasolini prenait l’extinction des lucioles en Italie, causée par la pollution de l’air et des eaux, comme le symptôme ultime d’une civilisation en déclin, aspirée par le vide. Si l’on peut voir le destin de Ramin comme la figure de cet insecte en perdition, il semblerait qu’au pessimisme du texte du cinéaste italien, Luciérnagas préfère la réponse adressée, près de trente ans plus tard, par le philosophe Georges Didi-Huberman dans Survivance des lucioles.
La persistance d’un espoir qui va si bien au film : “Devenir des lucioles et reformer par là une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensées à transmettre. Dire oui dans la nuit traversée de lueurs, et ne pas se contenter de décrire le non de la lumière qui nous aveugle.” Comme une luciole, le film de Bani Khoshnoudi danse et rallume la nuit.
Luciérnagas de Bani Khoshnoudi, avec Arash Marandi, Luis Alberti, Edwarda Gurrola (Mex., Gr., E.-U., Dom., 2018, 1 h 28)
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