Un homme passe toute une soirée dans un bar de Toronto et fait le point sur sa vie : de ce concept introspectif, Andy Shauf tire un album empli de finesse et de simplicité. Rencontre.
Il arrive presque en rasant les murs, tête baissée, casquette vissée sur le crâne, tout juste de retour d’une séance photo improvisée dans les rues de Paris. On imagine sans peine que poser sous le regard des passants n’est pas ce qu’Andy Shauf préfère dans son métier.
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Avec son vague air de Griezmann du folk, ce Canadien réservé nous invite d’un pâle sourire à prendre place devant lui, un brin effaré par les affiches de filles dénudées qui ornent les murs de son hôtel. On comprend que notre mission va consister à percer la carapace sans le brusquer. Tout en douceur. Exactement comme les disques qu’il sort depuis quelques années.
Un songwriter épanoui
Révélé il y a trois ans par The Party (2016), regorgeant d’éblouissantes symphonies de poche, Andy a inauguré sa carrière dès 2006, sans arriver immédiatement jusqu’à nos oreilles. Il a montré sa capacité à se fondre dans un groupe, Foxwarren, qu’il a cofondé il y a une décennie avec des amis d’enfance de sa région – leur charmant premier album est paru en 2018.
Mais c’est lorsqu’il s’enferme dans son studio, seul face à sa multitude d’instruments et à sa créativité sans fin, que ce songwriter s’épanouit pleinement. “Avoir accès à un studio en permanence, cela implique d’être vigilant : il faut décider quand une chanson est prête, explique-t-il. J’essaie de ne pas répéter les mêmes schémas, et j’aime me fixer un cadre bien délimité.”
“Pour ce nouvel album, au lieu de travailler avec un logiciel, j’ai eu envie d’utiliser un enregistreur 8-pistes, ce qui m’a obligé à moins m’éparpiller dans des arrangements démesurés. Une fois les huit pistes remplies, je ne pouvais plus rien ajouter, et, dans un sens, ça m’a aidé à savoir quand une chanson était terminée.”
“Pour The Party, j’avais eu la tentation d’en faire toujours plus, d’ajouter des cordes, une clarinette… jusqu’au moment où il ne me restait plus que deux jours à passer en studio et c’était la panique ! J’y suis arrivé, mais pour The Neon Skyline, j’ai préféré garder simplement le squelette des chansons, sans embellissement superflu.”
Le concept de The Neon Skyline rappelle le Between the Bars d’Elliott Smit
A l’entendre, on croirait qu’il vient de réaliser un album décharné, unplugged. Pourtant, on connaît des ribambelles d’artistes qui vendraient leur âme pour des chansons d’un tel degré de finesse et de sophistication. Ces “squelettes” sont parés de soieries, de taffetas chatoyants et de pierreries incrustées.
De l’ouverture Neon Skyline à la conclusion Changer, Andy Shauf a certes préféré la simplicité et un esprit plus folk qu’auparavant, davantage tourné vers la guitare acoustique que vers le piano, mais son élégance naturelle le porte toujours vers des compositions soignées. Mentions spéciales à The Moon et Try Again : “Dans ma tête, ces deux titres constituent le cœur de tout l’album”, confie-t-il.
Plus feutré que The Party, The Neon Skyline rappelle souvent des grands maîtres du songwriting nord-américain, en particulier Randy Newman, Tobias Jesso Jr. et Elliott Smith. Comme ce dernier, Andy Shauf a travaillé avec Rob Schnapf, qui a mixé ce nouvel album. Le concept même de The Neon Skyline rappelle le fameux Between the Bars d’Elliott Smith.
“Je savais dès le départ que je lierais les chansons entre elles par un concept”
Sur un débit singulier, proche de celui de Joni Mitchell, on suit ici les pensées d’un homme assis dans un bar de son quartier pendant toute une nuit – un examen de conscience à la fois mélancolique et drôle, nourri par les connaissances et les amours perdues qu’il croise durant la soirée.
“Je savais dès le départ que je lierais les chansons entre elles par un concept, comme pour The Party. La chanson Neon Skyline est la première que j’ai écrite dans ce processus. C’est à partir d’elle qu’ont découlé les personnages et le cadre global. Le bar qui m’a inspiré ressemble beaucoup à celui qu’on voit sur la pochette.”
“C’est un endroit ancien, ouvert depuis les seventies, avec une enseigne en néon. Il est situé à deux pas de là où je vis aujourd’hui, à Toronto, donc j’y vais très souvent. Je m’y sens comme dans une famille, loin de chez moi.”
La musique occupe toutes ses pensées
Chez lui, c’est la province de Saskatchewan, où il a grandi dans un environnement très porté sur la religion. Enfant, il jouait de la musique chrétienne avec ses parents, qui tenaient un magasin où ils vendaient, entre autres, du matériel de musique – pratique pour avoir accès à un vaste choix d’instruments. Andy, aujourd’hui multi-instrumentiste, a aussi joué de la batterie dans un groupe pop-punk chrétien jusqu’en 2006, mais il nous précise que la religion ne fait plus trop partie de sa vie maintenant.
La musique occupe toutes ses pensées. “Je suis en permanence à la recherche d’un changement d’accord qui va faire basculer une mélodie. Souvent, mes doigts se dirigent vers les mêmes accords, mais quand ma main fait un mouvement imprévu, c’est souvent là que je trouve quelque chose d’intéressant.”
“Quand je vois que des gens aiment ce que je fais, j’ai l’agréable sensation de ne pas gâcher ma vie, après toutes ces heures passées seul dans un studio à préparer un album pendant des années. J’ai beaucoup de doutes sur ma musique, mais quand je vois une réaction positive venant de l’extérieur, par exemple en concert, ça me redonne confiance.” On ira l’applaudir chaudement sur sa tournée française pour l’encourager à composer toujours plus de chansons à couper le souffle.
Album The Neon Skyline (Anti-/PIAS)
Concerts Le 13 mars, Lyon (Epicerie Moderne), le 14 mars, Bordeaux (Krakatoa), le 6 avril, Rouen (Le 106) et le 7 avril, Paris (Trianon).
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