Le rêve américain existe-t-il encore ? Si la série Little America et ses portraits d’immigrés semblent répondre positivement, d’autres, telle Watchmen, préfèrent regarder la réalité en face et défaire les illusions.
Qui se souvient de How to Make It in America, petite série HBO qui mettait en scène au début des années 2010 deux amis new-yorkais en quête de réussite dans la grande ville ? On y sentait l’odeur de la rue et le goût ambigu, voire saumâtre, du rêve américain. Une décennie plus tard, réussir au pays du drapeau étoilé est toujours un ferment fictionnel majeur, comme si, au gré des Présidents, rien ne pouvait venir entraver l’idée d’un horizon à conquérir. L’identité américaine est probablement à ce prix, même s’il faut s’acharner à garder vivante une illusion. C’est ce qu’étudie la nouvelle série anthologique d’Apple, Little America, tirée d’une série d’articles de fond publiés dans Epic Magazine et mise en ligne cette semaine.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A travers huit épisodes sont dressés les portraits impressionnistes d’immigré.e.s aux histoires diverses, du Nigérian devenu cow-boy à la femme chinoise mère célibataire avec ses deux enfants, en passant par une jeune mexicaine future championne de squash, un iranien lancé dans un projet immobilier branlant et même une frenchie (Mélanie Laurent, malheureusement dans un épisode peu abouti) en visite touristique pour une retraite de yoga, où elle trouvera l’énergie pour changer de vie et s’installer là-bas.
L’idée du rêve américain se révèle aplanie, banalisée
Les héros et héroïnes traversent parfois plusieurs décennies, ce qui donne à la série une énergie singulière, une manière de tracer des parcours humains dans une forme de sprint romanesque. Et quand il s’agit de mettre en scène une vie entière (ou au moins plusieurs étapes majeures) dans le format resserré d’épisodes d’une trentaine de minutes, une urgence se ressent, la sensation que les existences passent à une vitesse folle et qu’une décision, qu’un coup d’arrêt, peuvent tout changer.
Little America est assez émouvante quand elle capte ce vrillage du temps avec simplicité et qu’elle scrute le corps social américain dans sa diversité structurante. Au bout du chemin, l’idée du rêve américain se révèle aplanie, banalisée, brouillée, presque insignifiante, y compris pour les personnes nées sur le territoire. Comme si elle tournait à vide. Lors d’une croisière sur un paquebot de luxe, un vieux redneck répond à son interlocutrice qui lui assène que les gens ici ont l’air triste : « C’est triste, mais au moins il y a un buffet avec des crevettes à volonté. »
Cet épisode, le septième, a été écrit et réalisé par Tze Chun, le fils de la personne dont est tirée l’histoire mise en scène. C’est aussi un principe fort de Little America, peut-être le plus novateur : donner la parole aux concerné.e.s et privilégier ce que l’on pourrait nommer un « regard d’immigrant ». La solitude absolue, la barrière terrorisante de la langue, le déchirement des séparations, incarnent le fonds de la série. L’immersion est efficace. Ce qui en limite la portée est lié au fait que Little America s’arrête au milieu du gué et refuse de faire de la politique – un comble pour un sujet aussi brûlant.
Des histoires positives de persévérance et d’obstination
Apple a utilisé comme élément de discours de communication son désir d’aller ici « plus loin que les titres de journaux ». C’est à la fois une idée louable et un problème, puisque, à aucun moment, le durcissement féroce des conditions de vie des immigrants dans l’Amérique contemporaine n’est réellement pris en charge. La plupart des histoires commencent certes avant l’ère Trump, mais il n’est jamais laissé entendre que les discours et les actes xénophobes, y compris au plus haut niveau de l’Etat, ont souvent trouvé un écho puissant dans le pays, encore amplifié ces dernières années. Il n’est question ni de mur ni de violences policières, comme si les discriminations n’étaient pas intéressantes et utiles à filmer. A la place, des histoires positives de persévérance et d’obstination sont mises en avant, émouvantes mais presque aveugles à la réalité.
Pour l’Amérique, ouvrir les yeux sur elle-même alors que l’élection présidentielle se profile (et avec elle, le spectre de quatre années angoissantes supplémentaires) redevient un enjeu crucial. En 2017, on se souvient d’un très bel épisode de la sitcom Blackish sur la dépression post-novembre 2016. Que Little America rate le coche montre le chemin qui reste à parcourir pour que les séries se sentent collectivement une responsabilité d’intervention sur le réel, au moins pour celles qui brassent des sujets identitaires et sociaux aussi aigus.
La discrimination, la violence et les abus de pouvoir sont le sujet central
Afin de trouver matière à réflexion, il faut se pencher sur l’impressionnante Watchmen, qui vient d’être diffusée par HBO en toute fin d’année dernière – elle reste disponible en replay. Cette adaptation des comics d’Alan Moore et Dave Gibbons imagine une Amérique alternative où les super-héros sont devenus des hors-la-loi et où les suprémacistes blancs menacent l’équilibre démocratique – il en sera de même au mois de mars, avec l’adaptation par David Simon (The Wire) du Complot contre l’Amérique de Philip Roth, qui met en scène la victoire d’un fasciste. Damon Lindelof (showrunner de la série, ex-Lost et The Leftovers) a imaginé une héroïne noire traversant une histoire et un présent américains qui n’avaient pas été vraiment montrés jusqu’à maintenant, ou alors de façon plus allusive. La discrimination et la violence, les abus de pouvoir deviennent le sujet central de la fiction.
Watchmen mêle assez brillamment une réflexion sur les images qui manquent, les grandes questions de représentation, avec un désir concret de secouer la réalité. L’une des scènes les plus marquantes, sur laquelle la série revient au cours de la saison, relate un fait historique réel, le massacre du « Wall Street Noir » par des membres du Ku Klux Klan à Tulsa, dans l’Oklahoma, en 1921. Des charniers ont été découverts récemment sur place, et à la suite de la diffusion de la série, la question d’entreprendre des fouilles pour établir exactement le nombre de victimes – il n’existe pour l’instant qu’une estimation – se pose de façon plus prégnante que jamais. Donald Trump, clairement soutenu par le Ku Klux Klan, n’a évidemment posté aucun message Twitter sur la question, préférant parler de ses « gros missiles » et de l’Iran. Quant à Watchmen, si elle revient pour une deuxième saison, ce sera peut-être dans les mains d’une autre créatrice ou d’un autre créateur. Damon Lindelof lui-même a suggéré un nom, pas n’importe lequel : celui de Ryan Coogler, réalisateur de Black Panther. Histoire de prouver que l’Amérique conserve sa puissante capacité de renouvellement.
Little America sur Apple TV Plus
Watchmen sur OCS Go
{"type":"Banniere-Basse"}