Julie Deliquet puise à de multiples sources – cinéma, littérature, psychanalyse… – et restitue sur les planches toute la puissance chorale du texte d’Arnaud Desplechin.
Après son adaptation à succès du film Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman avec la troupe de la Comédie-Française, Julie Deliquet prolonge sa réflexion sur les liens entre le théâtre et le cinéma en s’emparant du scénario d’Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin.
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On comprend mieux les raisons qui autorisent Julie Deliquet à questionner le subtil équilibre existant entre ce que l’image donne à voir et ce que la scène peut exprimer si l’on sait que sa passion pour le 7e art remonte à ses années lycée, quand elle choisit de passer un bac cinéma en section réalisation.
“J’ai été biberonnée depuis l’adolescence à l’analyse filmique et j’ai poursuivi avec plaisir mes études de cinéma à la faculté, même si mon désir profond a toujours été de me consacrer au spectacle vivant. Cela n’a jamais été autre chose pour moi qu’une influence souterraine, mais je ne suis pas sûre que je serais devenue une metteuse en scène si je n’avais pas reçu cette formation de cinéma.”
Avoir cette fois-ci pour interlocuteur un auteur bien vivant
C’est au moment où elle travaille sur le conte de Noël raconté par Bergman dans Fanny et Alexandre qu’elle s’intéresse au scénario du film d’Arnaud Desplechin. “J’avais envie de créer une filiation entre ces deux créations, qu’elles puissent se répondre sans être comparables.”
L’idée étant d’approcher une écriture filmique en ayant cette fois-ci pour interlocuteur un auteur bien vivant. Ne sachant elle-même comment elle réagirait si on lui proposait de porter à l’écran une de ses pièces, fruit de son écriture de plateau avec le collectif In Vitro, Julie Deliquet a le sentiment de marcher sur des œufs quand elle contacte le réalisateur.
“Arnaud m’a tout de suite rassurée. Il avait vu mes spectacles et il trouvait très excitant que le théâtre envahisse un de ses films. Il m’a dit que je pouvais faire ce que je voulais.”
En tournant à Roubaix, la ville de son enfance, Arnaud Desplechin tisse la toile de fond d’une fiction familiale au plus près d’un vécu. La maladie de Junon, la matriarche, devient un prétexte pour réunir les membres d’un clan dysfonctionnel après des années de brouilles et autant de non-dits à mettre sur la table.
Puiser à la littérature, au théâtre, à la cinéphilie et à la psychanalyse
L’occasion d’un jeu aussi drôle que cruel où chacun est amené à miser sur les valeurs qui sont les siennes face au tragique de l’existence. Invite à une analyse en profondeur, le scénario d’Un conte de Noël commence par une citation du philosophe américain du XIXe siècle Ralph Waldo Emmerson et se conclut sur une réplique du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare.
Prendre la mesure d’un réseau de dédicaces qui embrasse autant l’autobiographie qu’il puise à la littérature, au théâtre, à la cinéphilie et à la psychanalyse a été un premier chantier qui permit à l’équipe de sonder les secrets de la trame narrative au fil des répétitions.
“Chez Desplechin, la parole est un moteur de l’action dramatique. Sans le support des images, je n’avais pas moins de 162 séquences de dialogues isolés à structurer pour retrouver le sentiment de choralité qui préside à l’ensemble.”
L’envahissement d’une œuvre
Pour inscrire ce récit dans une continuité de scènes collectives, le choix de placer l’espace de jeu en vis à vis des deux gradins du public s’est imposé d’emblée. “Il fallait sortir du cadre de la caméra. En rendant le hors-champ visible, je fabrique un creuset d’intimité porté par des comédiens que l’on découvre sous tous les angles.”
Acmé de sa mise en scène, Julie Deliquet saisit l’occasion d’une saynète jouée par les enfants pour faire basculer la pièce dans un monde shakespearien où chacun trouve son double.
L’imaginaire en acte de cette somptueuse épiphanie s’accorde à merveille au souhait d’Arnaud Desplechin et c’est alors une transe digne de celles des Maîtres fous de Jean Rouch qui atteste de l’envahissement de son œuvre par les fantômes du théâtre.
Un conte de Noël d’après le scénario du film d’Arnaud Desplechin, mise en scène Julie Deliquet, jusqu’au 2 février dans le cadre du Festival d’Automne, Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris
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