La série teen britannique revient pour une deuxième saison chaleureuse et pétillante qui offre un miroir juste de la jeunesse d’aujourd’hui. Et parle d’une façon crue et concrète de ses préoccupations. Rencontre avec deux de ses interprètes.
Au début du huitième épisode de la nouvelle saison de Sex Education, deux jeunes femmes du lycée de Moordale entament une session amoureuse tremblante sur un lit, lookées comme jamais. Alors que les langues et les respirations s’agitent, tout semble malgré tout plutôt classique – même si les amours lesbiennes adolescentes n’ont pas si souvent trouvé leur chemin jusqu’à nos écrans domestiques.
Mais le plus juste et le plus étonnant reste à venir. Quand l’une des deux glisse une main dans la culotte de sa copine, quelque chose cloche, une douleur fige celle qui est pourtant consentante. Sa partenaire s’inquiète et l’intéressée dédramatise tout de suite : elle annonce être atteinte de vaginisme, un trouble qui occasionne des douleurs insurmontables au vagin en cas de pénétration, par un pénis ou un doigt, créant des spasmes.
“Mon vagin est comme une plante carnivore (…). Mais quand je le fais toute seule, j’y arrive”, glisse-t-elle à son amante en sortant un sextoy, expliquant néanmoins qu’elle reste “à la surface”.
Coller ensemble l’éducation et la fiction
Quelques instants plus tard, l’un des moments les plus francs et inédits de la série a lieu, quand les deux héroïnes se masturbent côte à côte, jusqu’à atteindre l’orgasme. Quand elles ont terminé, elles se font un check pour se féliciter d’avoir pris autant de plaisir ensemble.
En une poignée de minutes avec cette merveille de scène, la série écrite par l’Anglo-Australienne Laurie Nunn réussit le tour de force de transformer un moment potentiellement simple en leçon de sexualité et de récit.
Coller ensemble l’éducation et la fiction, tel est l’un des principes de base de Sex Education, comédie teen et hit surprise de Netflix l’année dernière, déjà de retour pour une nouvelle fournée d’épisodes sautillants. “J’aurais adoré avoir une série comme celle-ci à regarder quand j’étais au collège et au lycée”, nous glisse l’acteur français Sami Outalbali, fraîchement recruté.
“Certains diront plus tard : j’ai grandi avec Sex Education. C’est beau d’imaginer ça”, renchérit la Franco-Anglaise Emma Mackey, qui joue l’intrigante Maeve, confrontée cette saison au retour de sa mère. “Mon personnage traverse des moments durs. Le sujet, c’est l’addiction. On sait que sa maman a été addict et Maeve doit retrouver un rôle de fille. Elle qui a l’habitude d’être seule vit un drame social. A mon avis, notre série devient un outil pratique où les gens trouvent des repères. »
Une conception somme toute vintage de la télévision
Signe des temps, le premier mot qui vient aux comédien.ne.s de la série concerne leur responsabilité, cette idée que ce qui s’agite sur l’écran influera sur d’autres vies. Une conception somme toute assez vintage de la télévision (et du streaming, dans ce cas précis) comme lieu où se cristallisent de manière frontale les enjeux sociétaux de l’époque.
“On fait un métier dans une chaîne qui fabrique des images, précise Emma Mackey. Donc, on a une responsabilité, même si je ne me mets pas de pression. Nous sommes les visages de la série, mais il y a des années de travail d’une équipe derrière. Cela se voit. C’est recherché, intelligent, plein de tendresse.”
“C’est comme une bulle qui représente notre génération. Tout va très vite, et Sex Education capte cette vitesse des changements contemporains. Il y a dix ans, quand j’étais au collège, l’expérience de la jeunesse était hyper-différente.”
https://www.youtube.com/watch?v=AZrXOulYuU0
Il arrive que, dans son désir d’embrasser le plus largement possible la vie des teens, Sex Education s’égare dans une forme de didactisme qui refroidit les enjeux narratifs au long cours.
Dans cette saison, les rôles sont clairement identifiés
Le début de cette deuxième saison en souffre, et il faut un certain temps pour retrouver le charme des débuts, pour comprendre que l’on ne regarde pas cette série pour plonger corps et âme dans une odyssée enveloppante.
Au contraire, tout est fait pour sortir spectateurs et spectatrices d’un état contemplatif et remettre en permanence du quotidien derrière les couleurs vives et le ton enjoué des dialogues.
La relation entre Otis, le héros ado qui s’improvise conseiller sexuel, et sa mère, sexologue de métier, éclaire le point de vue et la méthode de la série. Dans cette saison, les rôles sont clairement identifiés entre celle qui possède le savoir et celui qui doit apprendre.
Une bonne part des interactions entre les deux se termine en considérations concrètes sur la meilleure manière de vivre avec des désirs qui débordent, surtout quand ils semblent mystérieux et méconnus. On pense à une amusante conversation sur la branlette dans le premier épisode.
Mettre des mots et des images sur des concepts mal compris
Les affects mère-fils sont finalement peu incarnés au profit d’une perpétuelle leçon de choses. Comme le prouve ce duo étrange, Sex Education peut manquer de profondeur émotionnelle, mais sa manière d’évoquer frontalement des sujets parfois mal considérés par les séries – ou simplement mis sous le tapis par le langage ordinaire sur la sexualité des ados – finit toujours par porter ses fruits, donnant une dimension aux personnages et aux situations.
Slut shaming, pilule du lendemain, ménopause, sororité, pansexualité, bisexualité, etc.
Au bout du compte, Sex Education se donne pour mission de mettre des mots et des images sur des concepts mal compris ou ignorés. Sans transition et dans un certain fouillis qui fait aussi son prix, cette deuxième saison parle de slut shaming, de pilule du lendemain, de ménopause, de sororité, de pansexualité, de bisexualité, d’IST, d’agressions dans les transports – on en passe.
Ici, chacun.e dit ce qu’il ou elle est, ce qu’il ou elle pense être, ce qu’il ou elle vit. Chaque épisode fonctionne comme le réceptacle doux-amer de ces identités.
Le meilleur exemple s’appelle Rahim. C’est un jeune Français qui débarque au lycée “d’on ne sait où”, comme le dit son interprète Sami Outalbali, déjà vu dans les trois belles saisons des Grands, l’une des meilleures séries ados hexagonales – même si, avouons-le, la concurrence n’a jamais été féroce.
Une série diverse et inclusive
Comme Ilyes dans Les Grands, Rahim est gay. Il surgit dans un couloir, au ralenti, comme un cliché du beau gosse du lycée auquel la série donne presque aussitôt une substance différente, celle d’un garçon mystérieux qui va s’enticher d’un camarade sans cacher son désir.
Comme elle avait su croquer avec finesse dans ses premiers épisodes un personnage de mâle dominant toxique (Adam, qui débute cette deuxième saison à l’armée), Sex Education prouve une nouvelle fois son talent pour inventer des hommes en dehors des clous. Sami Outalbali incarne Rahim avec fougue.
“Une fois que l’on a décidé qu’on pouvait être qui on veut, quelque chose se libère, Rahim a compris cela. Je ne suis même pas sûr que les uns et les autres veuillent lui poser de questions sur sa sexualité, parce qu’il ne laisse pas la place pour que ces questions soient posées. Je l’aime pour ça. Il démontre que c’est super de s’assumer, mais qu’on n’a pas besoin de le faire auprès des autres, juste auprès de soi.”
Diverse et inclusive, Sex Education façonne le portrait de groupe plutôt joyeux et bienveillant d’une jeunesse contemporaine ultra-connectée et à fleur de peau, entrée de plain-pied dans des problématiques que le vieux monde ne parvient pas toujours à saisir.
“Un personnage a deux mamans, comme Jackson, et cela ne pose aucun problème, se réjouit Emma Mackey. Pendant la première saison, on nous interrogeait sur ce sujet. Plus maintenant. Il faut dire que la série a gagné en maturité, c’est mon impression. Elle a aussi marqué les esprits.”
“On avance et on commence à toucher à des choses qui sont vraiment fabuleuses”
Le travail de fond effectué par Sex Education pour imposer ses histoires, ses corps et ses visages commence à porter ses fruits malgré un contexte fictionnel nouveau. Car l’apparition de l’angoissante (et passionnante) Euphoria sur HBO l’été dernier a donné de nouveaux atours au genre ado, coupant court à toute sentimentalité pour appuyer sur les blessures et les violences des premières fois.
“SexEd”, comme l’appellent tous deux Emma Mackey et Sami Outalbali, représente l’envers lumineux de la série de Sam Levinson. “Le public devient plus intelligent et, de plus, intelligent très tôt, note Sami Outalbali. On ne peut plus faire des séries midinettes teenagers.”
“La période que nous vivons est, sur beaucoup de points, très riche”
Emma Mackey, qui se dit fan d’Euphoria, note de son côté que “les deux séries ne font pas forcément partie du même monde, mais chacune existe dans sa bulle”. Une bulle qu’elle qualifie de chaleureuse en ce qui concerne Sex Education. Une bulle où Sami Outalbali, 20 ans, trouve des raisons d’espérer.
“La période que nous vivons est, sur beaucoup de points, très riche. Je trouve qu’on avance, dans notre génération. Que ce soit la sexualité, la manière de s’aimer, d’accepter de vivre le genre… On avance et on commence à toucher à des choses qui sont vraiment fabuleuses. On connaît les problèmes du monde, mais il faut aussi en voir les beautés.”
Sex Education saison 2 A partir du 17 janvier sur Netflix