À l’occasion de la sortie d’Underwater, un retour sur les films aquatiques s’imposait. Toutefois, pour nous durcir quelque peu la tâche, nous avons choisi de ne recenser que les titres dont le récit se déroule exclusivement ou tout du moins très majoritairement dans les tréfonds marins.
Si le lieu implique des moyens techniques exceptionnels, une physique particulière et un découpage de l’espace tout aussi atypique, il est étonnant de constater que relativement peu de films ont choisi d’établir comme unique théâtre le monde subaquatique (même recrée en postproduction) là où l’histoire du cinéma regorge, par exemple, de film se déroulant uniquement dans l’espace. Pourtant, qu’il soit l’incarnation de mondes hostiles ou merveilleux, opaque ou colorées, qu’il soit la métaphore de l’aventure ou un lieu du refuge tel un liquide amniotique, le monde sous-marin offre un espace esthétique, dramaturgique et symbolique d’une grande force. Quels sont les dix films qui ont le mieux saisi ses richesses ?
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1/ Vingt Mille Lieues sous les mers de George Méliès (1907)
Sûrement les premières traces d’un monde sous-marin filmé. Roman de Jules Vernes très convoité par le grand écran (4 adaptations au cinéma et une cinquième à venir, confié un temps à David Fincher puis désormais à James Mangold), la version de Méliès est traversée d’une poésie et d’une fantaisie inégalable. Propulsé dans un cylindre en direction d’un autre univers, comme l’étaient les aventuriers du Voyage dans la lune, le capitaine Némo se retrouve pris au piège des pieuvres, hippocampes et crabe géants avant de réaliser que cette odyssée psychédélique n’était qu’un rêve imaginé sur le duvet chaud d’un lit.
2/ La Cité sous la mer de Jacques Tourneur (1956)
Dernier film de Tourneur, si La Cité sous la mer apparaît comme une œuvre mineure de l’auteur de La Féline et Vaudou, elle mais n’en reste pas moins à remarquable à plusieurs titres. D’abord parce que La Cité sous la mer permet au cinéaste de conclure son étude attentive des univers étranges et fantastiques. Inspiré par un poème de Poe, Tourneur nous invite par le passage secret d’une bibliothèque, dans une mystérieuse cité engloutie gouvernée par un capitaine à l’éternelle jeunesse. L’homme est servi par des êtres à la peau écaillée qui rappelle étrangement le monstre de L’Étrange Créature du lac noir sorti deux ans plus tôt. Ces mêmes hommes-poissons que les héros du film combattrons dans une scène finale impressionnante, en forme de ballet aquatique. De manière plus globale, le film confirme la fascination grandissante du cinéma pour le monde sous-marin entamée notamment deux années plus tôt par Vingt Mille Lieues sous les mers produit par Disney et le film de Jack Arnold.
3/ Le Monde du silence de Louis Malle et Jacques-Yves Cousteau (1956)
Il faut se forcer à faire un pas de côté si l’on veut aujourd’hui appréhender Le Monde du silence en toute honnêteté intellectuelle. Choquant voire dégueulasse, le documentaire tourné à bord du Calypso, l’est forcément si l’on en fait une lecture contemporaine. Mais comme nous le rappelions dans cet article, il faut faire l’effort de se replonger dans l’époque et du rapport particulier que l’humain occidental entretenait jadis avec la faune et la flore. Il faut ainsi voir Le Monde du silence comme un remarquable marqueur anthropologique de ce que furent les comportements de notre civilisation. Soit d’un côté un rapport de domination brutale des hommes sur la nature illustrée dans le film par des scènes d’une grande cruauté tout en effectuant simultanément son sacre à l’écran (et ici pour l’une des premières fois de l’histoire du cinéma). Si l’hommage de Malle et Cousteau paraît obsolète ou contradictoire, il révéla une partie inconnue de la vie marine et c’est peut-être aussi grâce au Monde du silence qu’est née la prise de conscience écologique.
https://www.youtube.com/watch?v=p49uc8exPSY
4/ Le grand bleu de Luc Besson (1988)
Le cinéma de Besson n’est jamais aussi plaisant que lorsqu’il se restreint à filmer des choses simples (ce qui ne veut pas dire sans profondeur) et Le Grand bleu est sans doute ce que le cinéaste a atteint de plus pur dans sa filmographie. L’originalité du film tient à ce que son obstacle ne se trouve ni dans la confrontation du héros avec Enzo, ni dans la relation avec sa petite amie Johanna (peu intéressante). Ici l’ennemi n’est pas humain mais revêt des traits bien plus redoutables : le temps. Mayol voudrait rester indéfiniment sous l’eau là où sa physiologie, certes exceptionnelle, ne peut pourtant résister qu’une durée limitée. Le fond marin est ainsi ce refuge qu’il lui sera impossible d’épouser autrement que par la mort. Un constat éminemment simple mais déchirant à partir duquel Besson fait éclater toute la puissance tragique du film.
5/ La Petite Sirène de John Musker et Ron Clements (1989)
36ème long-métrage d’animation du studio Disney, La Petite Sirène fait des profondeurs aquatiques une succession de tableaux colorée et joyeux. On y trouve notamment une drag-queen (la grande méchante, Ursula) et un air créole d’Henri Salvador dans la version française (Sous l’océan) resté célèbre. Comme souvent, Disney atténue la violence du conte initial et lui substitue un récit initiatique sur la possibilité de quitter son milieu et d’en épouser un autre. Ainsi, contrairement au conte d’Andersen, Ariel ne périt pas à la fin mais quitte le monde qui l’a vu naître et se transforme en humaine pour consommer l’amour qui lui était jusqu’ici impossible. Une conclusion plutôt satisfaisante – même si l’on aurait préféré que l’amour des amants subsiste dans toute sa diversité – qui contraste avec les valeurs conservatrices habituellement énoncées dans les films du studio.
6/ Abyss de James Cameron (1989)
Trois ans après le carton du second volet d’Alien, beaucoup attendaient du nouveau film de James Cameron, une transposition sous-marine de la saga spatiale. Le cinéaste veut au contraire s’éloigner des codes horrifiques pour construire un huis clos doublé d’une réflexion sur l’existence (Cameron avait en tête de faire son 2001). Ce que le film sera tout en étant rattrapé de façon inattendue par le cinéma d’épouvante. Chaotique et d’une dureté incroyable, le tournage du film de Cameron va en effet se transformer en cauchemar pour s comédiens et l’ensemble de l’équipe technique. Cette genèse tourmentée, marquée par le comportement tyrannique de son réalisateur conférera à Abyss cette tension si irrespirable qui le propulse comme l’un des grands films nous offrant le reflet de son propre tournage. A noter que Cameron, grand amateur de plongée, marque ici sa première immersion dans le milieu marin de sa filmographie. C’est d’ailleurs lors la production d’Abyss que le cinéaste entame les recherches et se fascine pour le Titanic. Un projet qui ne le quittera plus jusqu’à son accomplissement près de 10 ans plus tard.
7/ A la poursuite d’Octobre rouge de John McTiernan (1990)
Le film de sous-marin offre évidemment pour tout cinéaste une possibilité de construire un hors-champ et une tension claustrophobe inestimable. Il faut pourtant un certain talent pour parvenir à conduire dans un espace aussi confiné un récit à tiroir qu’est celui du film espionnage. Une tâche que rempli admirablement John McTiernan dans A la poursuite d’Octobre rouge, en filmant un combat à distance entre Américains comme une partie d’échecs grandeur nature. Peu de subtilité, ni de désir de réalisme chez le cinéaste (contrairement à Kathryn Bigelow dans K19) mais un sens de la manipulation redoutable et une générosité sans faille qui emporte tout sur son passage. Citons Le chant du loup, premier film français qui s’essayera avec succès au genre en reprenant une certaine philosophie du film de McTiernan.
8/ Le Monde de Nemo d’Andrew Stanton et Lee Unkrich (2003)
Si Le monde de Némo nous immerge dans les profondeurs aquatiques et sa faune luxuriante c’est évidemment de nous, humains vivants à la surface, dont il est question. Comme souvent chez Pixar, le coup de génie provient pour beaucoup de la richesse à la fois formelle et théorique, des univers déployés. Une science de l’univers qui semble tenir en ces deux termes. D’un côté, la pertinence du choix du « monde », en ce qu’il fascine et ce qu’il reflète métaphoriquement (or, y a-t-il plus terrifiant que l’infini de l’océan pour nous figurer la peur d’un père voulant protéger sa jeune progéniture de l’inconnu ?). De l’autre, l’inventivité du studio à dessiner les personnages qui habitent cet univers, entre transposition anthropomorphique héritée de Disney (une raie devient un bus scolaire) et décalages géniaux (la bande de requins reconvertis à la cause végane).
9/ La Vie aquatique de Wes Anderson (2004)
À l’inverse de ces prédécesseurs (Cameron, McTiernan), Anderson envisage le vaisseau sous-marin du capitaine Zissou (probablement un lointain parent du commandant Cousteau) non comme une cellule anxiogène mais comme la célébration d’une liberté. Liberté de ton du film qui navigue de son élégance insolente entre l’odyssée homérique, spleen et comédie loufoque mais aussi liberté retrouvée de son personnage de vieux loup de mer à bonnet rouge, qui emporté dans l’élan de l’aventure, se remet à jouir du voyage et d’un nouvel inconnu qui s’ouvre à lui. La morale qui en découle est celle des plus grands films d’aventures : qu’importe la destination, pourvu que la route nous change.
10/ Bojack Horseman – Comme un poisson hors de l’eau, saison 3, épisode 4 (2016)
Nous trichons un peu pour cette dernière entrée en s’éloignant du cadre de la sortie cinéma traditionnelle mais ignorer l’épisode 4 de la saison 3 de Bojack Horseman pour évoquer le milieu sous-marin nous semblait inimaginable. Remarqué pour sa grande profondeur psychologique et sa satire piquante du monde du divertissement, la série animée prend ici un virage expérimental et réalise l’exercice de style parfait. Intitulé Comme un poisson hors de l’eau, l’épisode sans dialogue, orchestré uniquement par les bruitages et des nappes de synthé, met en scène le cheval et protagoniste principal de la série, invité à un festival de cinéma sous l’eau pour présenter un film. Un petit chef-d’œuvre d’écriture burlesque mettant ce Sisyphe moderne face au dépaysement de cette mini-société aquatique et ses mœurs inattendues (on reconnaîtra Manhattan) mais aussi à la paternité et plus globalement à l’absurdité de l’existence (la chute de l’épisode, aussi irrésistible que cruelle).
BONUS : « Runnin’ (Lose It All) » de Beyoncé, clip réalisé par Charlie Robins
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