Dans Le siècle du populisme (Seuil), Pierre Rosanvallon livre un réquisitoire argumenté du populisme, “l’idéologie ascendante du XXIe siècle”. Malgré sa mise au jour des apories de celle-ci, l’alternative qu’il propose peine cependant à convaincre.
C’est l’ironie de l’histoire. Pendant longtemps, la gauche radicale en France a cherché une stratégie politique et une pensée capables de la faire sortir de la marginalité, et de la faire exister politiquement et électoralement. Cette quête perpétuelle de la fameuse “alternative” l’occupe encore aujourd’hui. Mais, après la débâcle du PS à la présidentielle de 2017 (6,36 %) et la structuration – toujours chaotique, incertaine et susceptible de refluer – d’un bloc parfois qualifié de “populiste de gauche” autour de la France insoumise (et de Podemos en Espagne), le temps est venu pour la gauche réformiste, elle aussi, de s’interroger sérieusement sur son avenir, et de nommer son horizon.
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C’est le sens du livre de Pierre Rosanvallon, Le Siècle du populisme. Histoire, théorie, critique (Le Seuil, sortie le 9 janvier). Celui-ci n’est pas seulement l’essai d’un sociologue et historien spécialiste de théorie politique cherchant à définir cet objet devenu “incontournable dans sa confusion même”. C’est aussi de manière indissociable celui du penseur de la “deuxième gauche”, longtemps militant à la CFDT, au PSU puis au PS dans le courant rocardien – cette histoire, il l’a racontée dans Notre histoire intellectuelle et politique (Seuil, 2018) -, cherchant à ranimer une social-démocratie moribonde. Et pour ce faire, rien de mieux que de désigner et de connaître son ennemi pour se définir en négatif : le populisme, et le populisme de gauche théorisé par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe en particulier. “Ce livre veut briser le sortilège en proposant une critique approfondie de la théorie démocratique qui structure l’idéologie populiste”, prévient-il.
Affects et démagogues
Le professeur au Collège de France décrit donc en long, en large et en travers les principes fondateurs de cette “idéologie ascendante du XXIe siècle” : national-protectionnisme, vision souverainiste de la reconstruction de la volonté politique, mépris des corps intermédiaires ou encore nécessité d’un “homme-peuple” comme leader. Un travail de fond que ses propagandistes ne se seraient pas donné la peine de faire, “tant les électeurs qu’ils attirent sont plus sensibles aux cris de colère et aux dénonciations vengeresses qu’aux arguments théoriques.” C’est peut-être une faiblesse de cet essai pourtant bien renseigné : d’emblée, le vote en faveur des partis populistes est jugé ignare, répondant seulement à des affects savamment manipulés par des démagogues – on n’est pas loin, parfois, de la Psychologie des foules de Gustave Le Bon.
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Trop tendu vers son objectif de “confrontation radicale avec l’idée populiste”, et malgré des critiques utiles et importantes – sur “les conditions dans lesquelles un régime issu d’une vague électorale populiste peut se muer en démocrature” notamment -, Pierre Rosanvallon semble laisser parler, lui aussi, quelque part, ses affects. Il en va ainsi par exemple lorsqu’il s’en prend aux contempteurs du “néolibéralisme”, mot fétiche “résumant en un vocable unique la culture politique et sociale de la ‘caste’”, écrit-il, comme si la contestation de cet ordre économique, partagée par l’extrême gauche, vous classait automatiquement, de manière diffuse, dans le camp des populistes – et donc de ceux qui ne réfléchissent pas. L’auteur se lamente même de “la focalisation médiatique sur la question des grandes fortunes pour traiter des inégalités et envisager la justice fiscale”, regrettant “la tendance omniprésente à simplifier l’analyse de la société en la réduisant à la seule opposition entre les petits et les gros, les riches et les pauvres.” Les causes sociales et politiques de cet air du temps marqué du sceau de la défiance et du soupçon anti-élitiste restent ainsi un angle mort de cet ouvrage très normatif.
Entre populisme de gauche et populisme de droite, des “parallélismes”
Ce n’est pas vraiment ce qui précède le populisme dans le corps social qui intéresse l’auteur, mais ce qui succède aux vagues électorales populistes, et les vices dans la théorie de la démocratie de ce courant qui conduisent inéluctablement à la démocrature. D’où la question brûlante de savoir s’il existe “un populisme de gauche qui se distinguerait d’un populisme de droite”. Car le message que souhaite faire passer Pierre Rosanvallon, c’est bien que la gauche mélenchoniste fait fausse route et se trouve même sur une pente glissante. Pour lui, certes, “en termes d’histoires respectives, c’est un abîme qui sépare” le Rassemblement national (RN) de la France insoumise (LFI). Mais au niveau des électorats, il trouve des “parallélismes” : “Un partage des mêmes colères et des mêmes rejets, une même culture de la défiance et du soupçon rapprochent les esprits.”
Ainsi, les électeurs des deux mouvements auraient en commun la “même exécration des institutions bruxelloises”, et “une culture souverainiste transversale, réduisant de cette façon la profondeur du fossé séparant les héritages [historiques et politiques des deux mouvements]”. Rosanvallon appelle donc à la vigilance : certes, la question des immigrés et des réfugiés continue de tracer un “fossé d’importance” entre eux, mais “l’avenir politique du phénomène populiste est en grande partie lié aux conditions de maintien ou au contraire d’affaiblissement de cette distinction”.
Pour ce qui est de l’alternative à l’offre populiste proposée par Pierre Rosanvallon, elle réside en partie dans son livre Le Bon Gouvernement (Seuil, 2015), et dans le terme de “démocratie d’exercice”, redéfinissant les relations entre gouvernants et gouvernés. “La solution la plus pertinente à la crise de la représentation est d’en démultiplier les modalités et les expressions, au-delà du rôle à la fois indispensable et limité de l’exercice électoral”, écrit-il. Il faudrait donc renforcer “le lien, par construction intermittente, entre représentés et représentants par le biais de ce qu’on pourrait appeler une démocratie interactive, mettant en place des dispositifs permanents de consultation, d’information, de reddition de comptes entre eux”. Pas sûr qu’une réponse aussi homéopathique et technocratique persuade les électeurs, tant que la politique elle-même ne change pas d’orientation.
Le Siècle du populisme. Histoire, théorie, critique, de Pierre Rosanvallon, éd. Seuil, 288 p., 22€
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