Très attendue dans le subaquatique Underwater de William Eubank, Kristen Stewart nous parle d’empowerment féminin, de ses envies de réalisation, de son lien au cinéma d’auteur et d’Adèle Haenel.
Depuis son année 2016 miraculeuse, où elle avait été à l’affiche de quatre grands films (Certaines Femmes de Kelly Reichardt, Café Society de Woody Allen, Personal Shopper d’Olivier Assayas, Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee), Kristen Stewart était quelque peu sortie de nos radars.
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Ses derniers films, indépendants, n’étaient pas diffusés en France (Lizzie, J.T. Leroy, Seberg), son blockbuster féminin (Charlie’s Angels, dans les salles françaises depuis Noël) avait été boudé par le public et les critiques américains, et seuls une poignée de clips et de pubs (pour les Stones, Interpol, Chanel) nous rappelaient régulièrement quelle star elle demeurait…
Une star, mais dans son plus simple appareil : c’est l’impression qu’elle nous donne lorsque nous la rencontrons à Beverly Hills pour discuter de son dernier long métrage, Underwater, un film de genre hollywoodien comme elle en a peu fait dans sa carrière – et aucun depuis Twilight, chapitre 5 et Blanche-Neige et le Chasseur en 2012.
Un retour – ou plutôt un petit pas – au sein du studio system, qu’elle méprise ouvertement, mais dont elle sait qu’elle a besoin pour continuer à développer ses autres projets, ceux qui lui tiennent à cœur – « un pour moi, un pour eux », comme l’on dit.
Un retour qu’elle fait toutefois à ses conditions, ayant bien pris le temps de choisir le projet qui lui convenait, avec un ascendant qu’on imagine total sur son jeune réalisateur qu’elle qualifie de “kid”.
Habillée chic mais sans chichi (un pantalon blanc et un chemisier rose, Chanel sans doute), assise sur un fauteuil à côté et près de nous, elle nous frappe par sa franchise et sa simplicité, du moins une fois que les premières questions sont posées et la glace brisée.
Elle parle très vite mais en choisissant précisément ses mots (surtout quand elle évoque la question des jeux et abus de pouvoir), alterne les registres de langue, entre châtié et familier, et accompagne souvent ses réponses d’un petit sourire en coin, comme pour souligner qu’elle n’est pas dupe de l’exercice promotionnel. Et de pas grand-chose d’autre.
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Vous avez plusieurs fois déclaré ne pas aimer nager, ne pas être à l’aise dans l’eau. Pourtant, vous avez accepté de jouer dans un film qui se déroule intégralement dans les fonds sous-marins. Est-ce une manière d’exorciser votre peur ?
Bizarrement, ne pas être à l’aise dans l’eau m’a sans doute poussée à être une bonne – du moins une pas trop mauvaise – nageuse. Pour pouvoir en sortir vite si besoin (rires) ! Mais oui, blague à part, j’ai peur de l’eau, de son poids, de son obscurité, de la difficulté à s’y mouvoir, qu’on soit bon ou mauvais nageur d’ailleurs. Je suis une control freak, et dans l’eau je perds le contrôle…
Plus spécifiquement, c’est le chemin du personnage qui m’a intéressée ici. Le fait de commencer en sous-vêtements, en train de me brosser les dents, inconsciente du danger imminent – bref, de commencer avec un personnage vierge, dont on ne sait strictement rien, et sur lequel, pendant longtemps, on ne va rien savoir. C’est quelque chose que j’aime.
Ça change des mises en place classiques, où au bout de dix pages on doit apprendre ceci, puis cela, etc. On a affaire à quelqu’un qui peine à exister, qui semble inaccessible, inexpressif, solitaire, dur…
Comme si elle était dans une caricature de héros macho. Puis, Nora va s’épaissir, on va comprendre qu’elle est en deuil, qu’elle se protège du monde. Mais quand le monde va l’agresser pour de bon, que sa vie va être menacée, elle va réaliser que celle-ci vaut quand même la peine d’être vécue.
C’est aussi votre film le plus commercial depuis longtemps. Y avait-il un attrait particulier à cela, à remettre un pied dans l’industrie hollywoodienne ?
En effet, je n’avais pas accepté un tel film depuis longtemps, et je sentais une pression. Pas du tout dans le sens où quelqu’un m’aurait dit : “Tu dois faire ce film”, mais tout simplement parce que c’était une nécessité. Pour pouvoir continuer à faire ce que je veux, il faut que je sois visible, c’est comme ça.
Alors j’ai regardé ce qui était disponible sur le marché, et j’ai trouvé ce scénario, qui m’a tout de suite séduite par sa simplicité. Il n’essaie pas d’en faire trop. Il se focalise sur une idée, une seule : survivre et revivre. Aujourd’hui, dans le studio system, c’est pratiquement impossible de faire des trucs compliqués. On risque de perdre sur tous les tableaux. Donc, mieux vaut une idée simple et une exécution parfaite.
Outre son côté commercial, Underwater est aussi un film d’action. Avec Charlie’s Angels, vous venez d’en faire deux à la suite, alors que c’est un genre que vous avez peu abordé jusqu’ici. Est-ce que vous y trouvez un plaisir particulier ? Est-ce que vous diriez que c’est empowering ?
En réalité, je n’ai pas fait Underwater et Charlie’s Angels l’un après l’autre, mais vous savez à quel point ces foutus calendriers de sortie peuvent être aléatoires… Entre les deux, j’ai tourné Seberg (un portrait de l’actrice Jean Seberg, inédit en France mais présenté au dernier Festival de Deauville – ndlr), et j’ai même eu pas mal de temps libre, qui m’a permis d’écrire un projet personnel… (elle réfléchit)
“Underwater, je l’ai fait pour exorciser ma peur de l’eau, des espaces clos et des films commerciaux”
Je n’ai jamais fait de choix de carrière tactique en fonction de l’image que les gens ont de moi. Je navigue à l’instinct. Pour Charlie, je voulais me sentir libre, à l’aise, soutenir des femmes qui me soutenaient en retour. Et ça avait quelque chose d’empowering en effet, d’autant plus qu’on a constamment ri pendant la fabrication.
Underwater, comme je vous le disais, je l’ai fait pour exorciser ma peur de l’eau, des espaces clos et des films commerciaux (rires) ! Et puis le réalisateur, William Eubank, a su me convaincre.
C’est un jeune mec, presque un gamin, qui n’a fait qu’un seul film auparavant, super-inventif, avec très peu de moyens, The Signal. Je ne me voyais pas faire un thriller léché avec un vieux réalisateur sûr de lui. Ça m’amusait beaucoup plus de tenter une aventure, de prendre un risque.
Underwater évoque assez clairement les films de James Cameron, notamment Abyss et Alien, et votre personnage ressemble beaucoup à la Ripley de Sigourney Weaver. C’était une source d’inspiration ? C’est quelque chose dont vous avez discuté avec le réalisateur ?
Je n’ai pas revu ces films spécifiquement, mais il est indéniable que ça faisait partie des inspirations générales. Nous aimons tous les deux ces films. Et notre film aime ces films.
La comparaison avec Ripley ne me semble pas innocente, dans la mesure où dans Underwater, comme dans la saga Alien, on a affaire à un personnage féminin qui vaut pour autre chose que ses attributs sexuels. Or, vous avez déclaré que vous en aviez marre qu’Hollywood dépeigne systématiquement les femmes comme des objets sexuels…
Pas tout à fait : ce que j’ai dit, c’est qu’Hollywood devait commencer à dépeindre les femmes comme des êtres sexuels, au sens de sujets maîtres de leur sexualité. Je ne suis pas du tout contre la sexualité au cinéma, tant qu’elle est honnête et entière, tant qu’elle n’est pas là pour satisfaire une espèce de statu quo social pourri, ou titiller le spectateur américain moyen.
https://www.youtube.com/watch?v=XKSQmYUaIyE
Politiquement, ça me semble intéressant de pouvoir raconter des histoires avec des femmes non sexuelles, OK. Mais moi j’aime les histoires avec des gens vivants – ou en l’occurrence qui reviennent à la vie –, des gens qui font parfois des mauvais choix mais qui vivent. Or, Nora est quelqu’un qui s’est coupé de tout, y compris de sa sexualité.
Elle s’est littéralement enterrée. Et c’est quand même un putain de problème, non ? Quand on la voit, on se dit : “Meuf, mais t’es où ? Qu’est-ce que tu fous ?” Son manque de sexualité a quelque chose de triste, c’est un signe de désengagement du monde.
Vous avez vu Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma ?
Oui ! Quel film ! j’ai adoré ! J’ai vu tous les films de Céline Sciamma, elle est tellement douée. Et ceux d’Adèle Haenel aussi, je l’aime beaucoup.
Vous avez suivi les récentes déclarations d’Adèle Haenel dans la presse française, à propos d’abus dont elle a déclaré avoir été victime de la part du réalisateur Christophe Ruggia ?
Je ne crois pas en avoir entendu parler, non… (on la briefe) Wow ! Ecoutez, je suis mille fois d’accord avec elle. Dénoncer un système plutôt qu’accabler un monstre, ça me semble la bonne démarche. On est tous fucked up d’une certaine manière… Quel serait un meilleur mot que fucked up (rires) ? Disons, paumés. Les impulsions, les trucs bizarres qui sont considérées comme illicites… On en a tous.
Tout l’enjeu est de savoir les mesurer, et surtout de s’assurer qu’on ne les impose pas aux autres pour leur pourrir la vie ou réduire leur liberté. Gardez vos névroses pour vous, putain ! Donc, s’en prendre au système plutôt qu’aux individus, aussi paumés soient-ils, c’est la bonne façon de procéder, Adèle a raison.
De plus en plus d’actrices passent derrière la caméra : Greta Gerwig, Elizabeth Banks (réalisatrice de Charlie’s Angels), Clea DuVall (avec qui vous avez un film en projet, Happiest Season)… Vous-même avez un film en projet. C’est une façon de reprendre le pouvoir ?
Je ne peux parler qu’en mon propre nom, mais j’ai toujours eu envie de raconter des histoires, depuis toute gamine. Envie de laisser quelque chose qui n’appartienne qu’à moi. Je crois que c’est commun à beaucoup d’acteurs. Mais pour que je me sente légitime, il a fallu qu’on me montre la voie. Il a fallu qu’on me révèle à moi-même.
Quand on est sur ce chemin, vient très vite l’envie de révéler d’autres personnes à elles-mêmes. C’est comme si on avait ouvert mon robinet et que, désormais, je n’avais qu’une envie : ouvrir tous les robinets de la maison !
Vous en êtes où de votre projet de film justement, La Mécanique des fluides ?
Je me suis promis de le faire l’an prochain. C’est une autobiographie de Lidia Yuknavitch très compliquée à adapter. Parce que fluide, bizarre. C’est comme de l’eau : dur à attraper. Il faut que je trouve l’actrice parfaite pour le rôle principal (celui d’une nageuse professionnelle, bisexuelle et addict au sexe, qui devient artiste – ndlr). L’histoire se déroule sur quarante ans, donc, en réalité, il me faut plus d’une actrice…
Ou un bon de-aging…
Oh que non (rires) ! Avant de m’y mettre à fond, il faut de toute façon que je tourne le film de Clea DuVall (une comédie romantique lesbienne avec Mackenzie Davis – ndlr) et le film de Ben Foster (sur William S. Burroughs, où elle interprétera Joan Vollmer, la femme la plus en vue de la Beat Generation – ndlr). Mais, normalement, à la fin du printemps, je serai libre. Si on se revoit dans un an et que je n’ai toujours pas tourné, je serai hyper-frustrée !
Pour revenir à votre métaphore sur les robinets ouverts, vous considérez qu’Olivier Assayas a pu faire ça pour vous ?
Oui. Comme future réalisatrice, il m’a débloquée, clairement. Comme actrice, c’est différent : j’ai juste à le suivre. Il me suffit d’être humaine, de me fondre dans le moule qu’il élabore. C’est incroyablement naturel, et j’adore ça. Il est très drôle, Olivier vous savez, car il ne s’attribue jamais le mérite. Il dit des choses comme (elle se met à l’imiter).
“Oh, je ne sais pas comment ça s’est fait, j’ai simplement écrit des trucs, filmé et voilà c’était terminé.” Ce qu’il m’a appris, c’est que quand vous avez quelque chose en vous, ça coule de source ; et si ce n’est pas le cas, ne le faites pas. Non pas que faire des films est facile, mais l’envie doit être compulsive.
Olivier est comme mon grand frère, à chaque fois que je le vois, c’est plus qu’une joie, c’est un soulagement. Je lui ai envoyé mon scénario pour savoir ce qu’il en pensait. Et il m’a répondu : “Tu n’y es pas encore, mais le fait que tu fasses tel film, puis tel autre, c’est très bien, tu es sur la bonne route.” Quelle veine d’avoir un tel mentor ! J’ai quand même une putain de chance, non ?
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