La rétrospective consacrée à l’œuvre du cinéaste russe révèle avec délice la myriade d’influences esthétiques d’un moderne classique, mais toujours visionnaire.
Le travail au long cours de Sergueï Eisenstein s’apparentant à un chantier en permanente construction/déconstruction, les responsables de l’exposition messine, dont le scénographe Jean-Julien Simonot, ont eu la bonne idée de la présenter sur moult échafaudages tubulaires. Un accrochage constructiviste en somme, ce qui n’est pas la moitié d’un clin d’œil.
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Le cheminement est chronologique, des premiers pas du cinéaste dans le Moscou des années 1910 en pleine surchauffe révolutionnaire jusqu’à sa mort d’une crise cardiaque en 1948, sous la haute surveillance d’une orthodoxie stalinienne qui, depuis la fin des années 1930, le tolérait à peine. Point nodal, les films. Du premier long métrage d’Eisenstein, La Grève, en 1924, jusqu’aux mastodontes (Le Cuirassé Potemkine, Octobre, La Ligne générale, Alexandre Nevski, etc.) qui le hisseront au panthéon du cinéma mondial.
De Goya à Delacroix, du Bernin à Jacques Callot
Mais le plus grand bénéfice d’une exposition sous-titrée “Un cinéaste à la croisée des arts” est d’instruire les inspirations nombreuses de ce génie. Dès son adolescence dans sa ville natale de Riga, où son père fut un architecte fameux, le multilingue Eisenstein s’adonne à un cosmopolitisme curieux de toutes les avant-gardes européennes. Le tout sur un fond “classique” qui, par exemple, lui fit collectionner des estampes de Jacques Callot. Ada Ackerman, commissaire de l’exposition, a insisté avec bonheur sur cette part cruciale des influences.
On sait que les films d’Eisenstein ont cadré le percept du cinéma bien au-delà du seul laboratoire soviétique, et que de film en film il n’a jamais cessé de contester le risque d’un auto-académisme en le mettant à l’épreuve de nouvelles inventions (lumières, couleurs, sons).
On savait moins que son esthétique novatrice fut nourrie aussi bien des labyrinthes de Piranèse que de certaines sculptures de Michel-Ange, dont L’Esclave mourant qui, autant homoérotique qu’homothétique, pourrait être un marin de Potemkine. Cette mise en regard, de l’attendu à l’inattendu, de Goya à Delacroix, fait merveille, jusqu’à certaines audaces où l’iconique visage hurlant de la mère au landau dans Potemkine dialogue avec une terre cuite d’après L’Extase de sainte Thérèse du Bernin. Conflit et choc, à la façon d’un montage eisensteinissime.
Sommet aussi physique que psychique, la construction in situ de la Glass House, décor d’un film jamais réalisé dans lequel Eisenstein envisageait de raconter la vie d’un gratte-ciel futuriste où la transparence serait totale : pour le bonheur communiste de tous, pour le malheur stalinien de chacun, préposé potentiel à l’espionnage domestique. Glass House devait être tourné en 1926. Eisenstein, visionnaire.
L’Œil extatique. Sergueï Eisenstein, cinéaste à la croisée des arts jusqu’au 24 février, Centre Pompidou-Metz
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