Le nouveau roman de Jean Echenoz traite de l’existence, de la politique et de tout le reste par l’absurde. Un refus punk de se prendre au sérieux aussi admirable qu’un brin lassant.
Il y a quelque chose de jubilatoire à lire les cent premières pages du nouveau roman de Jean Echenoz. Une sorte de n’importe quoi punk, un sens de l’absurde ultra-corrosif quand appliqué à la politique ou aux riches, un côté implacablement déconnant dès qu’il s’agit de trucs dits sérieux, de sujets de grandes personnes. Jean Echenoz a toujours plus ou moins écrit comme ça, ce qui a valu aux Editions de Minuit de devenir, au-delà de la maison d’édition, un style – hérité du Nouveau Roman et de Samuel Beckett –, installé avec Echenoz, donc, puis Jean-Philippe Toussaint.
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Des mésaventures rocambolesques
On dit d’un style littéraire qu’il est très “Minuit”, et on y pense bien sûr très fort à chaque page de cette Vie de Gérard Fulmard. Si on était méchants, on dirait qu’Echenoz n’a pas réussi un roman mais un catalogue de cette fameuse “écriture Minuit” en vue de l’export. Mais passons.
Le titre est tout un programme, référence aux “Vies” des saint.e.s, et au modèle du genre non religieux, Une vie de Maupassant. Référence passée ici à la moulinette de la rigolade avec l’ajout du nom fumeux et kitsch de Gérard Fulmard. Le Gérard en question va bien devoir en faire quelque chose de cette vie, malgré son auteur qui insiste à la lui foutre en l’air, vu qu’il a dès le début failli se prendre “un boulon géant sur la tête (…) revenu des espaces infinis, c’était un gros fragment de satellite soviétique obsolète qui venait d’écraser le centre commercial d’Auteuil”.
Secoué après avoir frôlé la mort, d’autant qu’on apprendra plus tard que sa mère avait failli se prendre Mike Brant sur la tête lors du suicide de celui-ci, il décide alors, inspiré par l’enseigne Duluc, détective privé, de fonder lui-même une agence. Tout ça va le mener dans des mésaventures rocambolesques, jusqu’à rencontrer les autres personnages de sa “Vie”, des politiques dont il deviendra l’homme de main.
L’ultime leçon de vie d’un écrivain vieillissant
C’est hélas là qu’on a calé. On peut admirer le panache d’Echenoz, sa subversion. On peut admirer, à travers son personnage de Gérard Fulmard, sorte d’hybride entre le Bartleby de Melville et le Tristram Shandy de Laurence Sterne, son refus ontologique, philosophique, de prendre l’existence, le social, le politique, la famille au sérieux.
On peut y voir l’ultime leçon de vie d’un écrivain vieillissant à ses lecteurs plus jeunes : non, on ne contrôle absolument rien dans la vie, qui n’est souvent qu’une vaste blague. On peut aussi rigoler sur cent pages – mais rigoler sur 235, à quoi bon ?
La vie est trop courte. Jean Echenoz le sait, lui qui consacrait ses plus beaux romans, plus mélancoliques que comiques, à d’autres Vies avec la trilogie Ravel, Courir et Des éclairs.
Près de dix ans plus tard, l’écrivain a maintenant 72 ans, et une furieuse envie de balancer du poil à gratter dans les cols durs des poncifs littéraires. On le comprend. Mais on abandonne.
Vie de Gérard Fulmard (Les Editions de Minuit), 240 p., 18,50 €
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