Dans ce film noir emberlificoté, les malfrats planquent des magots et communiquent en sifflant. Ce sixième long métrage d’un maître de la Nouvelle Vague roumaine parfaitement exécuté peine à convaincre sur la longueur.
Commencer son film par The Passenger d’Iggy Pop, quand on est du genre pointilleux comme Corneliou Porumboiu, ne peut être anodin. “I am the passenger”, chante l’Iguane, “And I ride and I ride, I ride through the city’s backside…” Le passager, dans Les Siffleurs, c’est Cristi, un policier interprété par Vlad Ivanov, pour qui l’adjectif taciturne semble avoir été inventé.
Justement, dans Policier, adjectif (2009), son deuxième long métrage, Porumboiu avait déjà nommé son personnage principal Cristi ; lui aussi était flic, et lui aussi avait des problèmes de communication avec son supérieur, joué par nul autre que… Vlad Ivanov. Un sequel ? Peut-être, si l’on croit dans la métempsycose cinéphile.
Une fiction pulpeuse à l’os
Ce Cristi-ci, en tout état de cause, est un type morose, passant constamment à côté de sa vie, comme étranger à lui-même. Un passager au sens figuré du terme, donc : si le film était dans une voiture, il en occuperait la place du mort, toujours en sursis.
Mais alors, qui conduit ? Ce n’est pas très clair au début, et ça l’est de moins en moins à mesure qu’on avance, tant l’opacité des personnages s’accroît en même temps que les fils narratifs s’emberlificotent.
Projeté in media res dans une intrigue canonique de film noir (un magot enterré, des flics corrompus, une bande de truands patibulaires et, bien sûr, une femme fatale, jouée par l’excellente Catrinel Marlon), le spectateur est trimbalé de séquence en séquence avec un sens très relatif de la chronologie.
Une façon joueuse de citer du classique
Ça ressemble à une fiction pulpeuse, mais à l’os ; à du Tarantino, mais ironique et désespéré, comme traduit par Cioran ; et pourquoi pas à du De Palma, avec sa façon joueuse de citer du classique à tout-va (Psychose, La Prisonnière du désert, Gilda, Le Grand Sommeil…) et son amour des dispositifs de vidéosurveillance, mais au pain sec et pince-sans-rire.
Une partie essentielle de l’histoire se déroule dans les îles Canaries, où Cristi vient apprendre auprès d’un malfrat un langage entièrement sifflé, le silbo gomero, qui lui permettra de communiquer secrètement avec ses complices (et qui existe réellement). Sauf que, comprend-on peu à peu, tout le monde parle en fait un double langage.
Et Porumboiu, à l’évidence, est le seul à tous les maîtriser, le seul à avoir les clés — et nous sommes ses passagers. Là réside la limite de ces Siffleurs : pour rutilant, élaboré (c’est de très loin son film le plus cher), intrigant et parfaitement exécuté qu’il soit, le sixième long métrage (en douze ans !) de ce cinéaste capital de la Nouvelle Vague roumaine est trop fasciné par sa propre conduite pour pleinement convaincre.
Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu, avec Vlad Ivanov, Catrinel Marlon, Rodica Lazar (Rou., Fr., All., 2019, 1h38)